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INTERVIEW MNC
Paris, le 28 décembre 2018

Emmanuel Barbe réagit à l'étude du professeur Prud'homme sur les 80 km/h

Emmanuel Barbe réagit à l'étude du professeur Prud'homme sur les 80 km/h

Contacté par le Journal moto du Net, le délégué interministériel à la sécurité routière nous livre ses réactions à l'analyse coûts-avantages des 80 km/h de l'économiste Rémy Prud'homme et promet qu'un premier bilan officiel sera annoncé en janvier, malgré les dégradations de radars qui risquent de fausser les résultats. Interview.

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Moto-Net.Com : Quelle est votre réaction à l'analyse préliminaire du professeur Rémy Prud'homme sur les coûts et bénéfices des 80 km/h ? 

Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière : Ce comité évoque, dans son communiqué, "un premier bilan". Ma première réaction, c’est qu’aucun "premier bilan" n’a pu être réalisé, puisque les données indispensables pour dresser un tel bilan de l’accidentalité routière sur le réseau routier concerné par la baisse de la vitesse à 80 km/h ne sont pas encore disponibles. Ces données sont actuellement recueillies et vérifiées par un organisme indépendant, l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONSIR). Elles sont en cours d’insertion dans un fichier nommé Bulletin d’analyse des accidents corporels de la circulation (BAAC). Ces données seront évidemment rendues publiques, comme chaque année, dès qu’elles seront fiabilisées, mais elles ne contiendront pas certaines informations sur le conducteur ou le(s) passager(s). Les dispositions relatives à la protection des données personnelles nous interdisent en effet de publier des éléments qui permettraient, par simple recoupement de lieux ou de circonstances spécifiques d’un accident, de disposer d’informations pouvant avoir une incidence pénale à l’encontre des personnes impliquées.

MNC : Quand publierez-vous un premier bilan des 80 km/h ?

E. B. : Je l’ai dit depuis l’annonce des résultats du mois de juillet, un premier bilan du passage au 80 km/h sera fait à la fin du mois de janvier 2019. Il n’est pas possible de le faire avant. Nous communiquerons à ce moment-là les données-sources des accidents, avec la limite mentionnée à l’instant. Ce premier bilan est réalisé par trois organismes réputés et indépendants : l'ONISR, l'IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et  des réseaux) et le CEREMA (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et  l'aménagement). Il se fondera sur une analyse géolocalisée des accidents, pour recenser de façon précise les accidents qui sont intervenus sur des routes aujourd'hui à 80, et avant juillet à 90. La cause de l’accident, je le répète, n’entre pas en compte. Il est important de l’expliquer, car c’est sans doute le plus difficile à comprendre. Parce qu’on roule moins vite, il pourra par exemple arriver, statistiquement, qu’un accident lié à l’ivresse d’une personne puisse être évité. Pas toujours, mais parfois. Même chose pour l’accident lié à la distraction ou, évidemment, à un excès de vitesse. C’est pour cela que la mesure "80" est une mesure anti-accident, et non pas une mesure destinée à réduire le nombre des accidents provoqués par une vitesse excessive.

Interview Moto-Net : Emmanuel Barbe réagit à l'étude du professeur Prud'homme sur les 80 km/h

MNC : Pourtant chaque mois vous publiez les statistiques de l’accidentalité routière.

E.B. : Effectivement l’ONISR publie chaque mois un bilan basé sur les données des remontées rapides des forces de l’ordre. Ces données ne contiennent pas les éléments de géolocalisation qui permettraient de faire le bilan précis et sérieux de la mesure "80" sur les routes concernées par la baisse de la vitesse. Il s’agit de résultats provisoires de l’accidentalité routière comparés à la même période de l’année précédente. Nous n’avons jamais prétendu autre chose.

MNC :  Vous remettez en cause le travail du Comité indépendant d'évaluation des 80  km /h ?

E. B. : Tout d'abord, ce comité n’a rien d’indépendant puisqu’il émane de l’association "40 millions d’automobilistes", qui l’a créé, et qui a pris position contre l’abaissement de la vitesse à 80 km/h. En termes de neutralité scientifique, on fait mieux ! Et je le répète, aucun premier bilan n’a été fait par ce comité.

MNC : Ce comité a effectivement été mis en place par 40MA, mais il compte aussi d'autres associations et d'autres personnalités, y compris des chercheurs.

E. B. : Pour faire un bilan de l’accidentologie du "80 km/h", seuls des scientifiques sont nécessaires. L’accidentologie est une science, pas une opinion.

MNC : les données d’accidentalité vous sont demandées, mais vous ne les avez pas transmises...

E. B. : Je le répète, c’est tout simplement parce que ces données, fiables et consolidées, ne sont pas encore disponibles. Je l’ai écrit au président du comité, Jean-Luc Michaud, le 10 décembre dernier. Les demandes qui m’ont été transmises montrent en tous cas une parfaite méconnaissance du mécanisme de recueil de la statistique de l’accidentalité routière en France, comme d'ailleurs d’autres notions élémentaires de sécurité routière.   

MNC : Comment expliquez-vous les conclusions du comité qui évalue à "100 vies sauvées" le bilan prévisionnel des 80 km/h ?

E. B. : Ce chiffre de 100 vies avancé par le comité n’est absolument pas le résultat d’une étude des accidents qui seraient survenus depuis le 1er juillet, date de l’entrée en vigueur de la nouvelle limitation de vitesse, par rapport à la même période les années passées, mais le résultat d’une interprétation erronée des études du chercheur Rune Elvik sur l'effet d'une baisse des vitesses moyennes. C’est un calcul théorique, contrairement à la présentation qui en a été faite à la presse. En réalité, pour arriver à ce résultat "en éprouvette" de 100 vies épargnées, le comité ne prend en compte que les seuls accidents dont la cause serait un excès de vitesse : c’est une erreur élémentaire, comme je l’ai indiqué à l’instant. Le 80 est une mesure anti-accidents. Mais le plus choquant, je vais vous le dire, c’est de laisser entendre, comme l’a fait Jean-Luc Michaud à la radio, que 100 vies épargnées, dans l’hypothèse où cela serait le "premier bilan du 80", ce n’est rien. Je m’étonne qu’on ne l’ait pas plus relevé. 

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MNC : Les travaux de Rune Elvik ont eux aussi été contestés.

E. B. : Mais par qui ? Par quels scientifiques ? Elvik a étudié près de 500 cas de baisses de vitesse dans le monde occidental et il a modélisé la baisse de l’accidentalité qui en découle. Ses travaux sont reconnus dans le monde entier, le sont par mes homologues européens et l’ont été par le comité des experts du Conseil national de la sécurité routière, composé d’accidentologues réputés. 

MNC : Vous contestez également l'analyse préliminaire coûts/bénéfices des 80 km/h, que le professeur Prud'homme a longuement détaillée sur MNC ?

E. B. : Je n'ai pas lu cette analyse. Je laisse ce travail aux ingénieurs dont c’est le métier. Que me disent-ils ? Que le calcul de M. Prud'homme est totalement théorique, que son analyse, en quelque sorte, additionne des carottes et des navets. Quand nous avons pour notre part présenté le décret abaissant la vitesse à 80 au Conseil d’Etat (qui l’a ensuite validé), nous avons fourni, en termes de coûts-avantages socio-économiques, les analyses du commissariat général au développement durable (CGDD). Cet organisme indépendant a estimé un bilan du passage au 80 km/h à une économie pour la Nation de 150 millions d'euros. Monsieur Prud'homme est le seul à tenir une autre analyse, c'est son droit. Cette analyse, c’est le moins qu’on puisse dire, n’est pas partagée. M. Prud'homme a des modes de calcul et des estimations qui lui sont personnels et il aboutit à un chiffre délirant, d’un coût de la mesure de 4 milliards (contre une économie de 150 millions pour le CGDD) ! 

MNC : M. Prud'homme a étudié le nombre de morts sur les voies concernées par le 80 km/h (routes bidirectionnelles sans séparateur central) qui sont au nombre de 1900 (environ 50% du total des tués) et dont 30% sont liés à des accidents dus à une vitesse excessive, soit environ 630.

E. B. : Je ne peux que vous redire que M. Prud’homme a totalement mécompris les raisons pour lesquelles une baisse de vitesse moyenne sur un réseau aboutit mécaniquement à une baisse du nombre des morts, évaluée pour la France entre 300 à 400 morts par an. 

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MNC : Les données que vous publiez tous les mois avec les nombres d'accidents, de blessés et de morts ne seraient-elle pas plus fiables si vous indiquiez le nombre de personnes ayant pris le volant ou le guidon au cours de la période étudiée ?

E. B. : Vous avez totalement raison ! Le baromètre mensuel ne tient pas compte en effet du kilométrage parcouru. Aucun pays aujourd'hui dans le monde n’est en capacité de le faire. Actuellement, le kilométrage parcouru est évalué par le ministère des transports au mois de juillet suivant l’année analysée (par exemple en juillet 2019 pour l’année 2018) sur la base des consommations de carburant de l'année précédente. Depuis deux ans, nous sommes à la recherche d’une objectivation de ce kilométrage par les données numériques : c’est un travail d’une grande complexité, mais nous espérons aboutir, précisément pour objectiver la performance de la sécurité routière.  

MNC : Concevez-vous que les 80 km/h aient pu représenter une nouvelle forme de fracture territoriale entre Paris et les zones rurales, qui aurait pu participer à la révolte des Gilets jaunes ?

E. B. : Je n’ai pas le souvenir que dans la liste des revendications exprimées par les gilets jaunes, et reprises dans un communiqué, la suppression du 80 ait été retenue... Au premier semestre j'ai visité 41 départements, beaucoup ruraux, pour expliquer cette mesure, donc je n’ignore rien du sentiment général. C'est vrai que cette mesure s'applique plus particulièrement dans les départements les plus ruraux, mais ce sont des territoires où l'on meurt, en proportion de la population, beaucoup plus sur les routes. L'injustice rurale, c’est d’abord la violence routière, qui touche plus particulièrement les jeunes. 

MNC : Vous ne comprenez pas la défiance des Français vis-à-vis des 80 km/h ?

E. B. : Je comprends que rouler à 80 km/h puisse paraître ennuyeux, plus encore qu’à 90 km/h, surtout à moto. Cependant, dans la réalité quotidienne des Français, le temps perdu est très faible ! Moi, je roule à moto dans tout le grand ouest (Seine-Maritime, Eure, Orne, Calvados...) et il n'y a pas un village sans zone 30. Les pertes de temps dues au différentiel 90/80 sont donc en réalité très faibles compte tenu des zones ralenties et je pense que le ressenti est d'abord psychologique. Je pense qu’on s’y habitue.

MNC : L'aspect psychologique est important, on peut comprendre que quelqu'un qui se fait flasher à 86 km/h pour 81 retenus soit énervé !

E. B. : Moi aussi ça m'est arrivé, il faut juste le temps de s'habituer ! Mais si au final on aboutit à une baisse 300 ou 400 morts évités, au bout de trois ans ce sont 1200 personnes qui ne seront pas mortes !

Interview Moto-Net : Emmanuel Barbe réagit à l'étude du professeur Prud'homme sur les 80 km/h

MNC : Combien de radars ont été neutralisés par les Gilets jaunes ?

E. B. : D'abord, rien ne permet d’imputer toutes les dégradations et destructions de radars aux gilets jaunes. Ensuite, je ne fournis pas de chiffres, mais il serait idiot de nier que le parc de radars subit des dégradations sensibles. Il suffit de se promener pour le voir. Il est certain que ça aura un impact sur le premier bilan à six mois, car la dégradation des radars va effectivement faire remonter les vitesses moyennes. Je redoute le nombre de morts que cela provoquera. De plus, les comparaisons d’une année sur l’autre se feront avec des conditions de contrôles de la vitesse très différentes, ce qui faussera la mesure.

MNC : Pour vous les 80 km/h ne sont donc pas "une connerie", pour reprendre l'expression du président de la République ?

E. B. : Le seul point qui compte pour moi, c'est de savoir en janvier combien de vies sur les routes auront été épargnées. C'est le seul objet de mon métier.  

MNC : Rendez-vous en janvier ?

E. B. : N'hésitez pas !

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