La bataille des chiffres se poursuit entre la Délégation à la sécurité routière et le Comité indépendant d'évaluation des 80 km/h, qui dressent un bilan radicalement différent du nombre de vies épargnées par la réduction de la vitesse sur le réseau secondaire. Explications.
Le Comité indépendant d'évaluation des 80 km/h (CIE) n'en démord pas : l'abaissement de la vitesse maximale de 90 km/h à 80 km/h sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central est un "échec", aussi bien en termes de "bilan humain" qu'au niveau des "conséquences socio-économiques" de cette mesure entrée en application le 1er juillet 2018.
Ce comité lancé par 40 millions d'automobilistes et qui regroupe plusieurs experts - dont le professeur Rémy Prud'homme interviewé par MNC - et des représentants de la Fédération français des motards en colère (FFMC) évoque même un "fiasco" au "coût pharaonique" dans son étude de 34 pages publiée début septembre et disponible gratuitement sur internet.
Selon ses méthodes de calculs, le CIE avance que le nombre de tués sur douze mois n'aurait "baissé que de 39, soit 0,4 tués par département, valeur statistique non significative assimilable à une marge d'erreur". Loin des "206 vies sauvées" dont fait mention le bilan officiel présenté début juillet par le ministre de l'intérieur...
Rappelons par ailleurs que le gouvernement tablait à l'origine sur une baisse de 400 vies par an grâce à cette mesure controversée, et qui continue à l'être en raison des augmentations successives de la mortalité routière ces derniers mois (+ 17,9% en août)...
L'étude du Comité indépendant d'évaluation des 80 km/h - ci-dessous - chiffre également le coût pour la collectivité à "2,3 milliards d'euros", en majeure partie imputables aux "184 millions d'heures" supplémentaires passées par l'ensemble des usagers sur les routes concernées par cette baisse de la vitesse !
"Après quatorze mois d'application des 80 km/h, rien ne permet donc d'affirmer que la mesure a eu un effet positif", conclut le président du CIE, qui estime "urgent de s'intéresser aux vraies raisons pour lesquelles la baisse continue du nombre des morts sur les routes françaises depuis 1973 s'est arrêtée en 2013".
Jean-Luc Michaud cite "la consommation croissante de stupéfiants, l'alcool au volant, le non-respect du code de la route par toutes les catégories d'usagers, les comportements répétés à hauts risques ou l'addiction au mobile", soit autant de causes d'accidents qui ne seraient pas selon lui "maîtrisées en priorité sur le terrain".
Cette étude fait sans surprise bondir la Délégation à la sécurité routière, qui oppose un démenti aux données avancées par le CIE dont l'indépendance et les méthodes sont au passage étrillées. Rappelons que la DSR avait déjà fait valoir un droit de réponse cet été après les accusations de "manipulation des chiffres par l'administration" émises par le même comité.
"Un comité indépendant d'évaluation du 80km/h, en fait une émanation de l'association 40 millions d'automobilistes, particulièrement hostile à cette mesure d abaissement de la vitesse dès son annonce, a produit une étude mettant en cause les résultats fournis par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), sous le pilotage de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR)", contre-attaque la sécurité routière.
Puis la DSR remet en cause la crédibilité de l'auteur de l'étude, Rémy Prud'homme, soupçonné de "constituer à lui seul le comité indépendant" et critiqué pour son manque d'humanité : "qualifier de fiasco une mesure qui "n'a permis de sauver que 39 vies" (sic), selon lui, démontre en soi le peu d'importance accordé par l'auteur de ces propos à la vie humaine", pointe l'organisme gouvernemental.
La sécurité routière s'en prend ensuite aux conclusions présentées dans l'étude du Comité indépendant d'évaluation des 80 km/h, entâchées selon elle de "graves lacunes méthodologiques" alors que son propre bilan s'appuie - bien entendu - sur une "méthode statistique claire et fiable".
"L'auteur considère à tort la vitesse comme une cause résiduelle des accidents, indépendante de l'ensemble des autres facteurs d'accidentalité", estime la DSR. "Une telle approche ignore le facteur aggravant que constitue la vitesse lors des accidents de la route. Ce biais introduit une sous-estimation massive du rôle de la vitesse dans l'accidentalité".
De même, les estimations de temps perdu à cause de la réduction de l'allure relèveraient de "calculs théoriques abstraits sans lien avec les situations réelles de conduite". La sécurité routière estime ces pertes à "environ une seconde au kilomètre", en s'appuyant sur les conclusions du CEREMA "à partir d'un échantillonnage de 298 itinéraires réels".
A titre indicatif, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement se décrit comme un "établissement public tourné vers l’appui aux politiques publiques, placé sous la double tutelle du ministère de la transition écologique et solidaire et du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales"...
Cet organisme sous "double tutelle" ministérielle va même plus loin : des gains de temps seraient même observés "dans 34% des situations". Fortiche, non : rouler 10 km/h moins vite permettrait d'arriver plus rapidement à destination ! Encore fallait-t-il y penser ?!
Ce démenti se termine en fustigeant une "infox" (l'équivalent français de "fake news") à propos du coût du changement des panneaux de signalisation : le CIE l'estime à "150 millions d'euros", alors que la note ne s'élèverait à "mi-septembre 2019" qu'à "1,61 millions d'euros"pour remplacer les "8100" anciens panneaux "90". Des chiffres étonnement inférieurs à ses propres prévisions, qui évoquaient "40 000 panneaux" à changer au prix moyen constaté par MNC de 65 euros HT pièce !
"L'auteur ne s'est même pas donné la peine de vérifier auprès de la délégation à la sécurité routière", regrette la DSR, tandis que plusieurs département souhaitent revenir aux 90 km/h - et donc à de nouveau changer les panneaux ! - mais se heurtent à des obstacles administratifs.
"L'ampleur des erreurs méthodologiques de tels travaux est assimilable à de la tromperie. Elle doit être dénoncée", fulmine-t-elle pour clôre son communiqué. Fin de round, chaque adversaire retourne dans son coin jusqu'à la reprise !
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