Sous pression face aux manifestations de motards (un peu) et à l'impressionnante mobilisation des Gilets jaunes (surtout), les élus de la République ont voté un assouplissement des 80 km/h. Sauf que le Conseil national de sécurité routière veut à tout prix empêcher les autorités locales de revenir aux 90 km/h, en énonçant une liste de recommandations techniques et de tracasseries administratives quasiment impossibles à respecter... Explications.
Malgré la volonté du Parlement d'assouplir les 80 km/h en laissant le choix aux élus locaux sur les routes dont ils ont la charge, le Conseil national de sécurité routière (CNSR) recommande une procédure en six étapes qui, si elle était adoptée, rendrait pratiquement impossible tout retour aux 90 km/h...
Dans un document intitulé "Dérogation à la vitesse maximale autorisée de 80 km/h sur route bidirectionnelle sans séparateur central : éléments d’aide à la décision" et rédigé dans un savoureux dialecte technico-administratif, le Comité des experts du CNSR (voir la liste ci-dessous) explique en effet que le retour aux 90 - pardon, "l'exercice de modulation de la vitesse maximum autorisée de 80 à 90 km/h" ! - doit respecter une procédure garantissant "le plus haut niveau de sécurité routière possible", selon la volonté du premier ministre Edouard Philippe himself.
Cette procédure en six étapes est si contraignante que même un dossier d'homologation du circuit Carole aux normes FIM MotoGP pour accueillir un deuxième Grand Prix de France aurait plus de chances de passer...
1. Réaliser un état des lieux des enjeux d’accidentalité
Pour chaque "réseau routier bidirectionnel du département concerné" par un éventuel retour aux 90 km/h, les autorités locales devront fournir un rapport sur "la mortalité qu’il représente, l'identification du type de routes le plus fortement contributeur du nombre de morts) et les usages (trafics et vitesses pratiquées selon les types de routes). L’analyse de l'accidentalité précisera notamment la gravité des accidents (accidents mortels, nombres de tués, nombres de blessés hospitalisés) rapporté au linéaire des différents types de routes de catégorie équivalente", préconisent les experts en précisant qu'une "durée de cinq ans est en général retenue pour l’analyse de l’accidentalité des routes interurbaines".
2. Énoncer l’objectif des 90 km/h
Les départements devront expliquer en quoi le retour aux 90 km/h est justifié et en quoi il serait bénéfique.
3. Réaliser une première liste des tronçons susceptibles de repasser à 90 km/h
Mais attention : "afin d’éviter la multiplication des changements de VMA sur les itinéraires, la liste ne proposera que des tronçons homogènes de longueur supérieure à 10 km", précisent les experts !
4. Évaluer les risques des tronçons concernés en fonction des usages (trafic, vitesses pratiquées, modes doux)
Les élus locaux qui auraient l'outrecuidance de s'opposer à la bonne parole gouvernementale devront faire preuve d'une parfaite connaissance des tronçons concernés : trafic des véhicules motorisés usuels et des usagers particuliers (engins agricoles, usagers vulnérables dont piétons et cyclistes), etc.
Ils devront également réaliser in-situ des mesures de vitesse pour "obtenir des distributions des vitesses pratiquées et calculer des indicateurs, notamment la V85 (vitesse pratiquée par 85 % des usagers) qui devra être inférieure à 90 km/h".
5. Définir les mesures compensatoires à adopter pour limiter les risques liés à la modification de la VMA sur les tronçons envisagés.
Les départements devront procéder à une "séparation physique des flux de trafic" (en clair : construire un séparateur central ou peindre une double ligne continue avec alerte sonore), "prévenir les sorties de routes et leurs conséquences", enlever les intersections avec des routes secondaires et interdire les tourne à gauche. Au pire du pire, on pourra admettre "un nombre très limité de carrefours giratoires" (les célèbres ronds-points chers aux Gilets jaunes : la boucle est bouclée !)
En complément de ces aménagements, des mesures d'exploitation devraient être mises en œuvre, en particulier "une politique d'entretien permettant de garantir un niveau de service compatible avec la VMA" et surtout "un système de contrôle automatisé permettant de s’assurer du respect de la VMA à 90 km/h par tous les véhicules motorisés" (et bien sûr d'alléger automatiquement de 90 euros les conducteurs plus concentrés sur leur conduite que sur leur compteur).
6. Organiser le suivi avant/après le retour aux 90 km/h
Enfin, les élus devront tenir des statistiques permettant d'évaluer le comportement des usagers et l'accidentalité locale avant et après la modification de la VMA.
En clair, pour qu'un tronçon de route départementale puisse retrouver une limitation à 90 km/h, il doit mesurer au moins 10 km de long, sans aucune intersection ni traversée de hameau et sans véhicule agricole...
Mais comme si ça ne suffisait pas, les gestionnaires de voirie de chaque département devraient en outre trouver les budgets pour construire :
Autant d'exigences techniques qui pourraient se matérialiser par ce schéma élaboré par la Ligue de défense des conducteurs :
BM = bande multifonctionnelle / TP = terre-plein / ZR = zone de récupération / TPC = terre-plein central
Plusieurs élus dénoncent "l'hypocrisie du gouvernement", à l'image du président du Conseil départemental des Yvelines : Pierre Bédier (Les Républicains) déplore sur RTL que le gouvernement "pose des conditions telles qu'il sera presque impossible aux collectivités concernées de revenir à la situation antérieure. On nous invente des règles alors que les décisions pour les limitations de vitesse doivent être prises sur le terrain".
"Parmi les 500 kilomètres de routes départementales qui pouvaient revenir à 90 km/h, le risque est qu'il n'y ait que très peu de kilomètres, voire pas du tout, qui y reviennent", confirme Jean-François Raynal, vice-président du Conseil départemental des Yvelines interrogé par France Info.
Le comité des experts du CNSR est composé de Laurent Arth, Jean-Pascal Assailly, Anne-Claire d’Apolito, Thierry Fassenot, Sandrine Gaymard, Marie-Axelle Granie, Benoît Hiron, Sylviane Lafont, Emmanuel Lagarde, Marine Millot, Manuelle Salathe, Marie-Laure Seux, Nicolas Simon, Helene Tattegrain et Eric Violette.
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