En juillet 2022, toutes les nouvelles voitures et camionnettes seront équipées d’un enregistreur de données de route (EDR). Cette boîte noire qui vise à améliorer la sécurité routière arrivera-t-elle sur nos motos et scooters ? MNC a posé la question à Vincent Thommeret, président de la CSIAM et DG de Yamaha France.
Dans un an exactement, les nouvelles automobiles et nouveaux utilitaires légers devront être équipés d’un mouchard. Pardon, d’un enregistreur de données d’événements ou EDR pour "Electronic Data Recorder", voire "Enregistreur de Données de Route" pour respecter l’acronyme en France.
À défaut de renouvellement complet d’un modèle (ce qui exige une nouvelle homologation), les voitures et camionnettes devront être mises aux normes dans les deux ans, pour juillet 2024 au plus tard. Mais à quoi serviront ces mystérieuses boîtes noires petits boîtiers électroniques gris métal placés dans nos quatre-roues ?
Si l’on en croit le journal officiel de l’Union européenne (Règlement (UE) 2019/2144 du Parlement Européen et du Conseil du 27 novembre 2019), ce dispositif sera "uniquement destiné à enregistrer et mémoriser les paramètres et informations critiques en rapport avec l’accident peu avant, pendant et immédiatement après une collision". Environ une minute en tout.
Selon nos très hauts dirigeants, "l’introduction d’enregistreurs de données d’événement mémorisant toute une série de données anonymisées cruciales du véhicule (...) est une étape précieuse pour obtenir des données d’accident plus précises et plus détaillées". Et après ?
À terme, ce dispositif devra permettre aux États membres "de mener des analyses de sécurité routière et d’évaluer l’efficacité de mesures spécifiques qu’ils ont prises, sans permettre d’identifier le propriétaire ou le détenteur d’un véhicule donné à partir des données mémorisées". Alors, rassurés ?
Compte tenu du degré de sophistication - extrême - des voitures actuelles, l’installation de cet EDR ne sera qu’une formalité : vitesse, freinage, géolocalisation, emploi des ceintures de sécurité, déclenchement des airbags et force de l’impact sont des données déjà surveillées en continu par les ordinateurs de bord. Il suffit donc de les compiler et de les enregistrer. Et de les envoyer à qui de droit ?
"Le doute plane sur l’utilisation de ce type de données à plus long terme", observe Vincent Thommeret, président de la branche moto de la CSIAM et directeur général de Yamaha Motor France."Seront-elles uniquement téléchargées dans le cadre d’une enquête ? Les associations d’usagers sont sur le dossier..."
Les informations récoltées seront-elles moulinées par des programmes informatiques dans l’unique but de repérer des situations à risque ou détecter des lieux accidentogènes, puis anticiper des accidents ? Ou bien serviront-elles à une nouvelle génération d’outils de sécurité/répression routière/rentière, diablement plus efficaces que nos actuels radars ? Mystère et boule de pneus...
Ce qui est certain en revanche, c’est que "les motos et scooters ne sont pas concernés car ils appartiennent à la la catégorie L qui n’est pas mentionnée par le texte", temporise notre interlocuteur... Pas concernés pour l’heure. Mais l'EDR arrivera, à l’instar de l’ABS rendu obligatoire en 2017 sur les deux-roues de plus de 125 cc, non ?
D’ailleurs, quel(s) effet(s) a eu cet autre règlement européen sur l’accidentologie des motos et scooters ? Une même machine est-elle plus sûre avec ABS que sans ? Cette obligation a-t-elle épargné des vies (des morts) ? Ou bien les motards, rassurés par ce dispositif, s’autorisent-ils à rouler plus vite et sortent-ils de la route plus fort ?
"La CSIAM elle-même réclame les statistiques sur l’ABS auprès de la DSCR (Délégation à la Sécurité Routière depuis 2017, NDLR)", nous indique Vincent Thommeret, "mais d’après elle, les datas cumulées à ce jour ne lui permettent pas de tirer de conclusion". Il serait intéressant d’étendre l’étude aux antipatinages, non ?
Sait-on par exemple si une Ténéré 700 qui se résume à un moteur, une selle, un guidon et un ABS, est plus accidentogène qu’une Multistrada V4 "électroniquée" de partout ? Non. "Avec la nouvelle Ténéré, Yamaha voulait avant tout une moto la plus robuste possible pour offrir de réelles capacités tout-terrain", nous rappelle le DG de YMF.
C’est dans ce but que "nous avons limité au strict minimum l’électronique et ses capteurs, trop sensibles aux chocs, secousses et vibrations, à la boue, la poussière et l’eau". Ce faisant, Yamaha rendait le tarif de sa "T7" le plus abordable possible. Et en parlant de sous...
Si le matériel qui compose l’EDR n’est pas forcement coûteux (200 dollars le container en Chine ?), le développement du logiciel et l’adaptation aux différentes motos peuvent l’être et risquent de faire augmenter le prix des motos. Dans l’automobile, on estime le surcoût de la boîte noire à une centaine d’euros...
"Les volumes de l’automobile et leur équipement électronique actuel sont tels que le coût est moindre que ne le serait l’intégration d’un EDR sur nos motos. Mais nous ne l’avons pas chiffré, ce n’est pas d’actualité", nous explique Vincent Thommeret qui ne croit pas que l’EDR ou son prix seront un frein au commerce...
Pour notre interlocuteur - comme pour MNC -, les mouchards ne porteront pas le coup de grâce aux motos sportives par exemple... Pour la simple raison qu’elles ont déjà déserté les routes depuis de nombreuses années, remplacées par des maxiroadsters ultra-performants, moins chers à assurer et plus fatiguant à maintenir à - très - haute vitesse.
Le président de la CSIAM voit plus loin : "on perçoit un changement des comportements, qui s’est accéléré avec le Covid-19 d’ailleurs, le rapport à la vie n’était plus le même dernièrement". Les motards seraient devenus plus prudents, plus précautionneux en raison de la pandémie ?
Ce que notre interlocuteur observe aussi, "c’est que l’un des champions de l’ultra-connexion à moto, BMW, est en progression sur tous les marchés en Europe : les gens vont naturellement vers les véhicules toujours plus assistés, plus sûrs". Certains au contraire refusent cette sophistication à outrance et s’offusquent à l’idée d’être tracés par une boîte noire... Faux débat ?
Les motards qui refusent catégoriquement d’embarquer un mouchard éteignent-ils systématiquement leur smartphone avant de partir en balade ou en vacances ? "Le système d’appel d’urgence qui permet de localiser un véhicule en cas de pépin (en continu potentiellement, NDLR) est désormais obligatoire sur les automobiles neuves", poursuit Vincent Thommeret.
"Il faut reconnaître que l’accidentologie reste l’un des principaux freins à notre pratique", admet-il, "et en ce sens, tout ce qui pourrait aller vers une amélioration de la sécurité routière est bon à prendre". Après tout, si cela nous permet de continuer à rouler...
"C’est dans ce but qu’oeuvre le consortium créé par BMW, Honda et Yamaha en 2016", signale le patron des patrons de filiales en France, "afin que motos et autos communiquent entre elles, échangent des infos, prévoient des situations à risques et à terme, agissent en cas de besoin".
"Attention, la technologie ne peut pas remplacer le pilote", avertit toutefois Vincent Thommeret, "mais elle peut aider à rendre les routes et les rues plus sûres". Et il lance une seconde mise en garde en guise de conclusion : "gare aux statistiques !"
En effet, les motocyclistes sont souvent pointés du doigt car ils représentent un quart des tués sur les routes pour seulement 2 % du trafic. Mais faut-il rabâcher qu’un Forza 125 ou une R1250GS offrent nettement moins de protection qu’une Twingo ou un XC90 ?
Est-il logique de comparer les milliers de kilomètres parcourus par une voiture familiale chaque été sur autoroute (déserte ou à l’arrêt, donc pas dangereuse) et les centaines de kilomètres effectués en ville et dans sa périphérie (son périphérique où chacun cherche à gagner deux secondes sur l’autre) par un scooter au quotidien ?
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