Moto-Net.Com profite de son bilan marché du premier semestre 2023 pour s’entretenir avec le nouveau directeur général de Peugeot Motocycles. Éric Apode a fait une brillante carrière dans l’automobile, notamment en Asie. Mais il est aussi passionné de moto, branché par DAB Motors et bercé sur une BSA 250... Interview.
Aux commandes de Peugeot Motocycles depuis moins d’un mois, Eric Apode accepte tout de même de répondre aux traditionnelles questions de Moto-Net.Com en fin de premier semestre sur le marché français du motocycle en France. Le nouveau directeur général (monde, SVP !) nous livre ensuite sa vision pour Peugeot Motocycles et précise les liens qu’il entretient avec le monde de la moto, depuis tout Peugeot... pardon, depuis tout jeunot....
Moto-Net.Com : Le marché français du motocycle continue de croître en 2023. Est-ce parce que de plus en plus de gens croient aux atouts du deux-roues motorisés ?
Éric Apode, directeur général de Peugeot Motocycles : Jusqu’à cette année, Peugeot Motocycles (PMTC) n’était présent que sur le marché du scooter. Or ce dernier est en recul sur les six premiers mois de l’année, de -12,6 % et cela s’observe à peu près sur tous les segments. Cette baisse peut s’expliquer par la récente d’inflation des prix... et depuis plus longtemps par le télétravail, une baisse de la mobilité qui impacte les scooters, beaucoup moins les motos.
MNC : Quel est votre bilan sur ces six premiers mois ?
E. A. : Dans ce contexte, PMTC performe nettement mieux que le marché puisque nous sommes à -4 %. Nous perdons 4 % de volume, mais nous gagnons en parts de marché, en passant de 9,3 % en 2022 à 10,2 % sur ce premier semestre. Nous le devons d’une part au lancement réussi du XP400 : nous sommes à +40 % de commandes par rapport à nos prévisions. D’autre part, notre Kisbee continue de se vendre très, très bien, il reste leader du marché... Petit scoop d’ailleurs : nous allons célébrer le 100 000ème Kisbee vendu en France depuis son lancement en 2010. Enfin, nos Pulsion, Django et Tweet marchent aussi. La seule difficulté qui apparaît c’est le Metropolis, essentiellement victime du stationnement payant dans Paris et du télétravail.
MNC : La concurrence chez les trois-roues est acharnée avec l’arrivée de Kymco et le renouvellement de la gamme Piaggio...
E. A. : Il y a effectivement le CV3 qui est arrivé et profite de l’effet nouveauté. Idem pour les MP3.
MNC : Comment s'annonce votre second semestre ?
E. A. : Nous maintenons nos plans. Au dernier salon EICMA vous vous en rappelez, nous avions annoncé cinq nouveautés. La première était le XP400 or son lancement est extrêmement prometteur, alors même que nous n’avons pas encore lancé les deux versions, GT haut de gamme qui représente 70 % des commande et Allure. La moto PM-01 vient d’arriver dans les concessions, le petit roadster très sympa au look Peugeot. Nous avons aussi le nouveau Tweet, puis viendra le nouveau Django et enfin le e-Streetzone, notre scooter électrique qui sera lancé en octobre.
MNC : La hausse des prix des motos, mais surtout celles de l'alimentaire et de l'énergie, ont-elles une répercussion sur vos ventes ? Le télétravail aussi, vous l’avez dit. Votre réseau et ses clients sont touchés ?
E. A. : Oui, c’est clair, en tout cas sur les scooters. La baisse de ce secteur sur le premier semestre est étroitement liée à la hausse du coût de la vie. Je pense qu’il n’y a pas vraiment d’impact sur la moto : les gens qui achètent une moto par passion, comme c’est mon cas, continue de le faire.
MNC : Quel(s) effet(s) a le feuilleton du contrôle technique moto sur votre réseau, sur ses clients ?
E. A. : En tant que constructeur, nous suivons bien évidement ce sujet avec attention. Nous avons un devoir de responsabilité envers nos clients, vis à vis des produits que nous mettons dans la rue et qui y roulent ensuite pendant de nombreuses années. Bien entendu, compte-tenu du coût de la vie actuel, nous allons tâcher d’accompagner nos clients, définir des aides. Le contrôle technique est désormais acté, il faut que cela se passe de la meilleure façon possible.
MNC : Vous pensez à des offres comparables aux remboursements de la formation de 7 heures ou du passage du permis A2 ?
E. A. : Voilà, exactement. Nous pourrions prendre en charge le contrôle technique afin que certains de nos clients ne soient pas lésés.
MNC : Travailler pour "Peugeot", dans le monde entier et notamment l’Asie, sur des produits 2 et 3-roues, c’est pour vous le "boulot de rêve" !
E. A. : Tout à fait. Pour tout vous dire, j’habitais à la campagne quand j’étais jeune, dans le sud de la France près d’Uzès. À 8 ans, mon père m’a offert une petite motocross avec laquelle j’arpentais les vignes. J’ai d’ailleurs gardé cette moto, ainsi que toutes les suivantes : la DT50, la DTMX...
MNC : ...C’est le rêve de tout motard pour le coup, conserver les motos de sa prime jeunesse !
E. A. : Oui c’est vrai ! Vous avez vu sur les réseaux sociaux la Ténéré 700, la XT500... mais vous n’avez pas vu la YZ490 qui est dans le garage, dans le mas de mes parents où j’entrepose un certains nombre de motos (rires). Mais pour reprendre mon expression de "Dream Job" que vous avez également saisie sur les réseaux, c’est parce qu’il associe la moto, ma passion pour ce produit, mais aussi de hautes responsabilités au sein d’une marque qui me tient particulièrement à coeur car j’y suis lié depuis 1988. Et vous le disiez, il y a l’Asie et son marché colossal : aujourd’hui, la Chine, l’Inde et l’Asie du Sud-Est représentent 60 millions de deux-roues motorisés vendus chaque année, comparé à 1,5 millions pour l’Europe de l’Ouest. J’ai vécu en Asie pendant plus de douze ans, en Chine, en Inde, en Malaisie pour gérer le marché ASEAN, et j’adore leur optimisme, l’effervescence qui y règne, cette énergie. Je m’y sens chez moi. Mais j’avoue que j’aime bien redescendre dans le Gard pour démarrer mes motos et rouler avec. Enfin, j’ai une petite anecdote personnelle à vous livrer au sujet de BSA cette fois. On ne doit pas être très nombreux à la partager en France, chez les motards de ma génération (Eric Apode est né en 1965, NDLR) : mon père m’emmenais souvent à l’école au guidon de sa BSA 250 de 1952 (rires)...
MNC : La boucle est bouclée, en quelque sorte !
E. A. : Voilà, exactement. C’est ce qui conforte un peu plus mon idée que ce poste chez Peugeot Motocycles est un "Dream Job" ! C’est pourquoi lorsque Mutares m’a appelé pour me proposer ce job, je n’ai pas hésité l’ombre d’une seconde.
MNC : Vous avez travaillé 35 ans dans l’auto. Mais jamais dans la moto, pourquoi ?
E. A. : Tout d’abord parce que je suis également passionné de voitures. J’ai aussi quelques classiques à la maison, des Peugeot surtout d’ailleurs, dont un magnifique cabriolet 404.
MNC : Rouge !
E. A. : Ah oui, vous l’avez vu aussi ! Je suis quelqu’un qui aime les belles choses, les belles mécaniques. C’est plus qu’une passion, c’est ma vie. Je suis entré en 1988 chez Peugeot et j’ai ensuite vécu 100 vies, à faire des choses très variées dans des pays très différents. J’ai été patron d’une boite que j’ai créée à Shenzhen en Chine à la frontière d’Hong Kong, j’ai été cofondateur de la marque DS, etc. C’est ça qui était bien chez PSA puis chez Stellantis où j’étais cadre dirigeant depuis plus de 15 ans. Mais là, l’attrait de la moto, de Peugeot et de l’Asie m’ont fait penser que c’était le moment !
MNC : Depuis le 19 juin, vous êtes au guidon de Peugeot Motocycles. Quelle trajectoire souhaitez-vous donner à la marque ?
E. A. : Notre ambition à tous chez PTMC est de lui redonner de l’éclat, redorer le blason, relancer un pôle moto qui a disparu depuis longtemps. Car la PM-01 n’est que le début, une gamme entière va être lancée. Nous travaillons sur la moto électrique via le rachat de DAB Motors et nous avons un accord de distribution de tout BSA en Europe.
MNC : Où êtes-vous basé, au siège à Mandeure ?
E. A. : Le siège social est bien à Mandeure, à l’usine où est née la première moto il y a 125 ans. Mais j’habite en région parisienne et je passe les lundis dans les bureaux en Ile-de-France. Je pars les trois jours suivants à Mandeure, puis je passe les vendredis et samedis dans le réseau commercial. J’étais à Madrid la semaine dernière par exemple. Je visite les concessionnaires, je rencontre les clients, etc.
MNC : Peugeot prévoit des festivités pour les 200 ans de l’usine de Valentigney, en 2025 ? Comment voyez-vous son avenir ?
E. A. : En 2023 déjà, nous fêtons les 125 ans de notre première moto. Beaulieu-Mandeure est l’usine historique où Armand Peugeot faisait les voitures, les motos et les vélos, et nous la célébrerons dignement, oui. Pour nous il est clair que cette usine à toute sa place, historiquement déjà, et surtout parce qu’elle représente un centre d’excellence où sont confectionnés les produits les plus haut de gamme : on y fabrique actuellement le Metropolis, le XP400 et le Pulsion. L’an prochain, nous fabriquerons aussi les Dab Motors. Il nous faut adapter cet outil de production afin de le maintenir aux meilleurs standards mondiaux en termes de qualité, de productivité et de technologie. Il y a deux ans (en 2021), cette usine produisait environ 3500 véhicules par an. Or cette année, nous prévoyons de finir à 7000 unités grâce au succès des nouveaux produits, le XP400 en tête. Dans le dispositif mondial de PTMC, Mandeure a une place tout à fait prépondérante, aux côtés de nos trois usines chinoises en partenariat avec Qingqi, notre usine en Inde et une usine au Vietnam via Thaco. Il faut bien sûr tenir compte de la taille des marchés, nous le disions plus tôt, mais aussi du prix des véhicules.
MNC : Vous parlez de DAB Motors. Vous croyez en ces petites motos électriques, alors même que KTM a du mal à vendre ses tout-terrains électriques et ne s’est pas lancé sur route ou dans les rues ?
E. A. Nous avons effectivement racheté DAB Motors et j’ai personnellement essayé leur moto à Mandeure récemment : je l’adore car elle est extrêmement stylée, étudiée dans le moindre détail. Elle possède une personnalité extrêmement forte. Simon Dabadie son créateur est un gars très talentueux qui s’est illustré avec Yamaha et son programme Yard Built sur la XSR900.
MNC : Le haut de gamme est-il une direction à suivre pour Peugeot ?
E. A. Attention, les motos DAB Motors seront vendues sous la marque DAB Motors. Mais leur entrée dans le giron PTMC signifie que nous allons bénéficier de leurs connaissances technologiques, de leur développement, de leurs innovations. Nous allons les intégrer. À l’inverse, DAB Motors profitent de nos compétences en termes de technique, de process, de qualité. Pour les achats aussi, des économies seront au rendez-vous.
MNC : En France, BMW cartonne avec ses "maxiscooters" électriques C Evolution puis CE 04. Peugeot travaille sur un concurrent, sur un grand frère du e-Streetzone ?
E. A. Il est certain qu’on y réfléchit. Je ne peux pas vous révéler notre plan produits car il est en pleine reconstruction, cependant l’arrivée de Mutares et le maintien de Mahindra nous permet d’être beaucoup plus ambitieux. Je suis arrivé il y a trois semaines et nous travaillons d’arrache-pied sur le plan produits, et l’électrique en fait partie, bien évidement. Je suis convaincu que, près de 20 ans après l’automobile, l’électrique va se développer chez les motocycles. Il faudra toutefois faire attention au prix car nous parlions de 60 millions de machines annuelles en Asie, mais le panier moyen n’est pas à 10 000 euros...
MNC : L’absence de concurrence sur ce segment paraît étrange, vu de l’extérieur et en France. C’était un peu pareil au sujet du MP3, resté 10 ans sans rivaux...
E. A. Je comprends votre point de vue. Mais vous savez que Peugeot a été l’inventeur du scooter électrique en 1996 avec le Scoot’elec. Et nous lançons en octobre le e-Streetzone ! Selon moi, l’électrique va accélérer.
MNC : L’automobile ouvre la voie en améliorant et en multipliant surtout les infrastructures.
E. A. C’était un frein, absolument.
MNC : Que va vous apporter - ou combien va vous rapporter - la distribution des motos BSA ?
E. A. : Nous avons l’accord de distribution de tout BSA en Europe, en exclusivité. Et nous sommes directement associés à cette renaissance puisque nous participons aux discussions sur les prochains produits, sur la stratégie mondiale. J’ai observé avec beaucoup d’attention ce qui s’est passé chez Royal Enfield, car j’étais en Inde, or je pense que le nom BSA, son histoire, nous offrent les moyens de faire quelque chose. Souvenez-vous dans les années 50, BSA était le premier constructeur mondial de motos.
MNC : Moto-Net.Com et ses lecteurs le savent... mais ne l’ont pas forcément vécu !
E. A. : Je sais que vous n’étiez pas né (rires), mais vous avez la même culture moto que moi et tous les passionnés de motos savent que dans les années 50, BSA était le plus grand et a même fini par racheter Triumph et Norton.
MNC : Mahindra vise le succès du groupe Eicher avec Royal Enfield, ou plutôt celui de Polaris avec Indian qui comme BSA, est resté inactif pendant des décennies...
E. A. : J’ai un "good feeling" pour BSA, comme on dit en Inde, ainsi que pour Jawa qui appartient aussi à Mahindra. Je pense que l’histoire de BSA, même interrompue pendant des années, est belle et que son avenir avec la Goldstar moderne et d’autres surprises à venir est aussi beau. C’est excellent pour PTMC qui propose DAB Motors d’un côté, BSA de l’autre, et au milieu les scooters et motos Peugeot.
MNC : C’est une offre complémentaire...
E. A. : Oui, complète, complémentaire. C’est enthousiasmant, c’est ce qui m’anime : recréer un groupe de prestige, qui soit un fleuron de l’industrie, comme nous avons réussi à le faire avec la marque DS.
MNC : Les rachats successifs par Mahindra puis Mutarès, ne compliquent pas les projections à moyen et long termes ?
E. A. : Au contraire, l’arrivée de Mutares et le maintien de Mahindra (car le groupe indien reste très présent et investit fortement) confirment l’objectif de relancer Peugeot Motocycles. C’est une très bonne nouvelle et c’est justement ce qui nous permet de lancer cette année cinq nouveautés.
MNC : L’esthétique des scooters et voitures Peugeot est proche. Comment cultivez-vous cet air de famille alors que les deux branches sont disctintes ?
E. A. : En fait, nous travaillons la main dans la main et le fait que je vienne de Stellantis et de Peugeot va beaucoup aider. Je ne trahis pas de secret en vous disant que la semaine dernière j’étais à Vélizy, j’ai discuté avec Linda Jackson (DG de Peugeot automobiles) et avec Matthias Hossan (patron du style) qui est par ailleurs un copain puisque nous avons travaillé à Shanghai ensemble, notamment sur le concept Metropolis de limousine hybride Citroën. Peugeot auto nous montrent tout de l’avenir de leur marque, et vice-versa, que ce soit les produits, l’image, le style, le positionnement, les valeurs, etc. Il serait d’ailleurs inconcevable que les deux univers soient complètement différents. Au contraire, nous souhaitons créer une synergie, sous le même insigne du Lion.
MNC : Un même Lion mais plusieurs mobilités à deux, trois, quatre roues ?
E. A. : Absolument, même s’il faudra adapter en fonction des clients, ceux des motos ne sont pas forcément les mêmes que ceux des scooters, des voitures.
MNC : Bien souvent et malgré eux parfois, les motards possède une automobile. Quatre roues et un grand coffre, c’est parfois pratique !
E. A. : Tout à fait..
MNC : Pour conclure, étant donné votre nouvelle fonction, allez-vous changer vos Ténéré 700 et XT500 contre une Goldstar et une PM-01 ?
E. A. : Je ne vais pas vendre mes douze motos pour cela (rires). Mais je vais rapidement m’équiper avec une autre BSA et un scooter, Metropolis ou XP400, bien entendu !
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