Cinquième épisode du voyage moto d'Enzo en Mongolie à vivre sur le Journal moto du Net. Aujourd'hui, embarquement pour un moment de relaxation pure sur la mer Caspienne avant de sillonner le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, toujours au guidon de sa bonne vieille Transalp.
Sur la route à moto, nous sommes souvent reliés à la nature : dès qu’il pleut c’est vite l’enfer, dès que le vent se met à souffler l’organisme fatigue très vite, quand il fait trop chaud la moto et le corps chauffent à des températures vertigineuses... Mais il y a aussi des moments de relaxation pure.
Ce bateau depuis Alat vers Aktaou (Kazakhstan) est l’un de ces rares moments de repos obligatoire lors de mon voyage à moto : 30 heures pour traverser la mer Caspienne, c’est 30 heures pour se prélasser dans la cabine, sur le pont, dans les parties communes. Le ticket inclus trois repas par jour. C’est donc dans un bateau plus que correct que nous avons pris place. Il y règne une euphorie générale assez palpable, tout le monde est jovial.
Ce bateau traverse la mer Caspienne, une immense mer remplie de pétrole. Le matin en me levant assez tôt, je peux apercevoir les plateformes pétrolières. Le lever du soleil est très orange et pourtant lorsque je baisse les yeux vers l’eau, je vois un spectacle stupéfiant : nous voguons sur pellicule de pétrole qui "s ‘échappe" lors de l’extraction... C’est comme en hiver en France, quand on peut voir ces tâches d’essence sur les routes, mais sur des kilomètres carrés. Ça m’attriste de rouler avec ce carburant qui pollue autant. Mince alors. Je repars me coucher. Ce soir nous arriverons à Aktaou. Personne ne sait encore le calvaire administratif qui nous attend...
Le soir venu, nous allons nous frotter à cette douane qui est d’une lenteur à faire rougir nos préfectures françaises... De l’arrimage du bateau au port à la sortie officielle en territoire kazakh, il nous aura fallu 5 heures (cinq heures !!!) de démarches, de files d’attente, de refus de payer des pots-de-vin.
Une anecdote plutôt cocasse lors de ma fouille de bagages : alors que celle-ci est enfin finie et que le militaire a tout vérifié, il lui est ordonné d’aller fouiller un semi-remorque. Obéissant, il ne signe pas le papier qui atteste que ma vérification à été faite... Je vais voir son supérieur pour l’informer qu’il n’a pas signé. Il me regarde, prend le papier, puis s’en va vers ma moto. Il tourne autour et je comprends qu’il l'aime bien. Il monte dessus et comme avec les enfants je lui fais allumer le contact. Mais je vois bien qu’il est perdu, il ne s’y connaît pas en moto et n’en a visiblement jamais fait.
Et là, il me fait comprendre qu’il veut faire un tour avec... Sans pression, mais avec une arrogance certaine. Je le regarde dans les yeux, je retire les clés du contact et lui dis que c’est hors de question. Il manquerait plus qu’il se vautre et qu’il abîme ma moto ! Il me fixe à son tour dans les yeux d’un air très agacé, appelle un de ses militaires et lui explique tout en mimant devant moi : tu fouilles chaque compartiment de sa moto, objet par objet, tu étales tout sur le sol.
Poutant d’un naturel assez calme, je vois rouge ! Je m’énerve et l’invective avec mon papier dans les mains et je constate qu’il est surpris de mon comportement. Il ne s’y attendait pas... Contre toute attente - moi-même, je me disais que j’avais été stupide de lever la voix et de le froisser -, il se met à rire, prend mon papier, le signe et me dit de partir en rigolant.
Je ne comprends pas trop comment cela a pu fonctionner, mais le résultat est là : j’ai mon papier et je peux poursuivre le reste des étapes qui consistent à payer l’assurance pour le pays, les taxes portuaires, les déclarations temporaires d’importation du véhicule dans le pays, etc. Tout ça avec une lenteur folle.
5:00 du matin. Avec mon pote Carlos (un motard de nationalité espagnole), nous sortons et c’est l’effervescence : nous sommes à l’extrême ouest d’un des plus grands pays du monde, avec l’une des densités de populations les plus faibles au monde. Bref, on commence à être loin... Pas encore assez toutefois, car cette ville a un Burger King dans son centre. Il faut donc partir au plus vite au plus loin. Mon plan, qui était de traverser le Kazakhstan, s’avère changé car on m’apprend que l’Ouzbékistan vient tout juste de mettre des e-visas en place, donc pas besoin d’aller à l’ambassade donner son passeport pour plusieurs jours.
Après avoir soumis mon formulaire, il ne me reste plus qu’à patienter 2 à 3 jours pour obtenir le e-visa, l’imprimer dans une agence touristique dont l’hôtesse fut plus que charmante avec des yeux si bleus que l’on pouvait s’y perdre facilement et ne plus recevoir aucun autre stimuli externe en l’admirant...
Je m’en vais donc pour l'Ouzbékistan bien reposé. J’ai fait des réserves d’essence car la route pour aller au pays de Tamerlan n’a pas beaucoup de stations-service et j’ai une autonomie assez réduite avec ma Honda (à peine plus de 200 bornes à 110 km/h). Cette route n’est que désert, chameaux et cailloux.
Je m’arrête un moment pour remettre correctement mon barda à l’arrière de la moto. Un homme s’arrête deux minutes après, me donne une grande bouteille d’eau et repart. Surprenant et très gentil, même si j’ai déjà trois litres d’eau sur moi. Trois minutes plus tard, une camionnette de cinq personnes s’arrête et commence à discuter avec moi. On mime des gestes, on échange des formalités et l’un des hommes va me chercher un bidon d’eau de 5 litres ! Cette fois j’insiste pour refuser, je n’ai pas besoin d’autant d’eau et je ne veux pas m’alourdir stupidement.
J’apprécie le geste, je trouve ça dingue cette générosité qui arrive sans qu’on ne le demande. Avant de partir, ils me demandent s’ils peuvent faire un selfie. Comme d’habitude je dis oui. Nous sommes des curiosités ici, ils doivent voir pas mal d’entre nous circuler dans la région mais d’en voir s’arrêter, peut être un peu moins... Le désert n’est pas super hospitalier, on évite de trop s’y attarder pour passer à des paysages plus variés, plus verdoyants, donc en tant que local ça doit être sympathique d’échanger quelques mots et de partager un moment aussi bref soit-il.
Je repars en selle et roule à travers l’uniformité aride et rouge. Il fait lourd - des orages ne vont sûrement pas tarder à s’abattre sur la région -, le ciel est couvert, le vent souffle de grandes rafales à en faire perdre sa trajectoire sur l’asphalte. Heureusement, les écarts de direction ici sont sans conséquence, il y a peu de circulation. Je croise en revanche beaucoup de camions qui viennent de tous horizons. Ce sont de véritables tannées quand on croise leur route, car dans le sens inverse ils traînent avec eux une violente secousse d’air, que nous, motards, prenons de plein fouet : tout bouge, de la tête à la moto.
Ça paraît anecdotique, mais après des centaines de camions croisés dans la journée cela participe à la fatigue qui s’accumule. Je n’ose imaginer la secousse produite pour les cyclistes qui circulent aussi sur ces routes désertiques. Ça doit être de vrais boulets pour eux. Enfin, après une longue journée de route monotone, jonchée ça et là de quelques carcasses d’animaux en état plus ou moins avancé de décomposition, j’arrive sur l’axe dont je redoutais les 80 derniers kilomètres qui me séparent de L’Ouzbékistan.
Sur une piste à côté d’une route en construction, on emprunte alors une ligne droite qui s’enfonce droit dans le désert. C’est impressionnant de se lancer dans des endroits si inhospitaliers, mais bien plus faciles qu’il y a 800 ans lors des premières grandes caravanes, du temps de Marco Polo. Ces gens avaient un courage tellement fou, partir en sachant qu’il y avait d’énormes possibilités de ne jamais revenir...
Et nous, 800 ans plus tard, on débarque dans des endroits toujours autant inhospitaliers avec nos voitures et nos motos ! Il y a un monde entre ces deux époques, mais toujours cet esprit de se frotter à l’inconnu. Le désert, aussi monotone soit-il, est tellement fascinant, hypnotisant, menaçant... Ce sont des sentiments que, jamais auparavant je n’avais expérimentés.
Mais assez rêvassé : les pistes me demandent toute mon attention car je n’ai jamais conduit de gros cubes sur ce genre de terrain. Ce n’est pas aussi plaisant que des petites 125 cc sur ce style de routes, mais il a fallu faire des concessions à mon départ. La moto réagit plutôt bien, je manque de me vautrer à plusieurs reprises, le temps que je m’adapte, puis je continue à m’enfoncer dans le néant désertique...
A mi-chemin, je rencontre des amis rencontrés sur le cargo en mer Caspienne. Deux tchèques, deux gars formidables, toujours positifs, rieurs et aventuriers, bref de bons compères. On se serre dans les bras, et tout naturellement nous décidons de finir la journée ensemble. Ils vont aussi en direction de la douane et veulent la passer aujourd’hui. Certes, j’irais plus vite seul, mais à trois on va plus loin.
Ils ont parcouru à peu près le même itinéraire que moi depuis la République tchèque, sauf qu’ils sont sur des 125 cc chinoises... Deux heures plus tard on arrive à la frontière. Quelques kilomètres avant, on s’arrête pour ranger toutes les caméras. Les frontières sont en général très peu friandes de tout cela, alors autant ne pas se mettre des bâtons dans les roues et faire profil bas.
C’est parti pour une 2h/2h30 de formalités administratives. C’est très long. On attend. On passe devant des gens car on est des touristes. De l’attente encore. Mais ça y est c’est fini, sans galères majeures. Le portail s’ouvre : "Welcome Uzbekistan". Il est tard, il fait nuit noire : bienvenue en Ouzbékistan. Un seul hôtel au milieu de nulle part, un vendeur de colliers, une vendeuse de poissons séchés (en plein milieu du désert).
Cet hôtel est l’oasis de consommation au milieu de ce néant. On va donc partager une chambre pour trois et s’écraser sur ces clic-clacs que nous paierons 10$ par personne. Ce fut parfait pour une nuit. Nous nous couchons sans nous laver malgré les douches collectives... Par pure hygiène, je préfère rester sale que de me doucher là-dedans. Je suis assez peu regardant de base sur la propreté, mais cette fois ce n’était clairement pas possible. La moto, elle, a dormi en face de l’hôtel, accrochée à mon cadenas. Elle est recouverte de sable et de poussière, je n’ai jamais vu du lubrifiant de chaîne s’user aussi vite. Il faut graisser tous les jours.
D’ailleurs cette chaîne va me poser bien des problèmes dans les jours à venir... Mais ça, c’est dans le prochain article !
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