Pierre Trotoux, génial inventeur du Tuyaucom, poursuit son combat avec le ministère de l'intérieur pour faire lever l'interdiction qui touche son astucieux système de communication entre le motard et son passager. Problème : l'administration contactée par MNC fait la sourde oreille depuis déjà cinq ans...
Souvenez-vous : en juin 2015 déjà, le Journal moto du Net s'émouvait de la situation de Pierre Trotoux suite à l'entrée en vigueur du décret 2015-743 interdisant l'usage en conduisant des systèmes de communication reliés à des oreillettes intra-auriculaires ou à un casque audio. A partir de cette date, n'étaient plus tolérés que les kits intégrés dans le casque des motards ou dans l'habitacle des voitures via une connexion sans fil.
A l'époque, cette décision prônée par la Sécurité routière visait surtout les kits mains-libres filaires fournis avec les téléphones, auxquels les automobilistes recouraient trop souvent pour téléphoner au volant. Problème : cette interdiction - assortie d'une amende de 135 euros et de 3 points - sonnait aussi le glas de l'invention de Pierre Trotoux, le Tuyaucom...
Rappelons que ce dispositif génial de simplicité et d'efficacité transporte le son "naturellement" entre le pilote et son passager via deux tuyaux souples. Chacun se termine par une pièce en plastique qui sert de "micro" et qui envoie le son à l'autre extrémité dans une oreillette moulée. Pas de piles, pas de réglages ni de boutons à trifouiller en lâchant le guidon d'une main, mais hélas cette notion d'oreillette et de raccord filaire dorénavant proscrits par la nouvelle législation.
Contacté par MNC pendant l'été 2015, Pierre Trotoux exprimait à la fois dépit et sentiment d'injustice : "c'est à peine croyable ! J'ai reçu la médaille du ministre de l'intérieur au concours Lépine en 1998 pour le Tuyaucom, et aujourd'hui ce même ministère signe son arrêt de mort", s'indignait-il face à cet arrêté qui entraînait de facto l'interdiction d'utiliser le Tuyaucom à moto ou en scooter, avec un effet catastrophique sur son business...
Un sacré coup dur alors que Pierre Trotoux - âgé de presque 70 ans - était justement en négociations pour céder son affaire, même si ses ventes pâtissaient de l'incontournable succès des intercoms Bluetooth plus attirants et polyvalents : de "15000 par an en 2004/2005", le Tuyaucom ne s'écoulait déjà plus qu'à environ "850 unités par an " l'année précédent le fameux décret.
"Début 2015 nous avions trouvé un repreneur, mais devant les informations qui circulaient sur les mesures de la DSR, il a préféré retiré sa candidature", regrettait-il en nous faisant part de sa demande de dérogation auprès du ministère de l'Intérieur pour faire valoir entre autres l'impact moindre du Tuyaucom sur l'attention du conducteur par rapport à un un kit Bluetooth et ses multiples fonctionnalités.
MNC - qui teste justement un intercom électronique en ce moment - peut en témoigner : ces derniers tendent à déconnecter de la conduite et à "isoler" phoniquement le conducteur en proposant musique, téléphone, GPS, recherche vocale... tout en roulant ! Incompatible, dans de nombreuses circonstances, avec l'attention nécessaire à moto : comment anticiper les dangers avec de la musique dans les oreilles ou, pire, en s'engueulant téléphonant avec sa moitié ?
En ville, éviter une collision ne tient souvent qu'à cette analyse quasi inconciente des risques en réaction à la perception des bruits environnants développée par le motard : ce coup de klaxon plusieurs voitures en amont qui annonce un ralentissement, ce crissement de pneus juste derrière annonciateur d'une possible collision ou encore ce chuintement hydraulique caractéristique déclenché par ce bus, là, pu..ain, qui pile brutalement !
Cinq ans plus tard, l'infatiguable entrepreneur installé à Pont-d'Ouilly (14) plaide toujours sa cause, malgré l'échec de ses démarches et l'indifférence de l'administration : sa demande de dérogation a été rejetée par le Conseil d'État en 2017, tandis que le délégué à la sécurité routière n'a jamais daigné vouloir le rencontrer. La remplaçante d'Emmanuel Barbe, Marie Gautier-Melleray, se montrera-t-elle davantage à l'écoute ?
Pas du genre à baisser les bras, Pierre Trotoux a donc adressé un long courrier à la Sécurité routière dans lequel il réexplique les intérêts du Tuyaucom, tout en pointant certaines contradictions de la nouvelle législation. L'inventeur nous a fait parvenir ce dossier précis et abondamment documenté, dans lequel il intègre notamment des articles de presse qui s'interrogent sur les dangers possibles des intercoms électroniques.
Le Tuyaucom chez Ixtem Moto |
|
|
Dans sa lettre, Pierre Trotoux explique s'être présenté à l'accueil de la Direction de la sécurité routière (DSR) le "25 novembre 2019" pour rencontrer un responsable et lui remettre son dossier en mains propres, "mais aucun n'était disponible", regrette-t-il. Sans doute trop occupés à peaufiner la fa(u)meuse "trajectoire de sécurité" à moto ou à compiler des statistiques justifiant la prolifération des radars automatiques ?!
L'inventeur a ensuite déposé "plusieurs documents" à une personne qui n'a pas "décliné son identité", avant d'envoyer un mail à l'adresse indiquée pour "savoir à quelle adresse et à quelle attention je pouvais envoyer mon dossier". Demande restée sans réponse à ce jour, dans un parfait exemple de mépris administratif...
Dans son dossier, le septuagénaire rappelle les vertus du Tuyaucom comme son absence de réglages complexes et son aspect écologique : "pas de piles ni de déchets électroniques à recycler", souligne-t-il adroitement, alors que l'environnement est - officiellement - au centre de toutes les préoccupations du gouvernement.
Pas opposé au développement des kits Bluetooth, Pierre Trotoux assure vivre avec son temps et apprécier le progrès mais pointe quelques incohérences avec leur usage : "pour changer de fonctions, le motard doit exercer une pression sur un bouton spécifique (...) : cela l'oblige à lâcher le guidon de la main gauche, en équilibre sur deux-roues. La Sécurité routière autorise cette manoeuvre dangereuse : on croit rêver !"
"Ce geste est par ailleurs exactement le même que l'automobiliste qui téléphone au volant et à qui il en coûtera 3 points et 135 euros d'amende. Et pourtant, c'est le Tuyaucom qui est interdit car il a une oreillette portée à l'oreille", s'insurge l'inventeur.
Questionnée à ce sujet par le Journal Moto du Net, la Direction de la sécurité routière botte en touche : "le Conseil d'État a déjà rendu sa décision le 10 juillet 2017, vous pouvez la retrouver sur le site de Légifrance. Il est impossible de faire une exception sur un texte réglementaire", nous répond Alexandra Thérizol, cheffe adjointe du bureau presse et actualités de la Sécurité routière.
Une impasse administrative qui laisse un goût amer à Pierre Trotoux : "aujourd'hui à 73 ans, outre le fait que mon épouse et moi sommes toujours en activité, que fait-on du stock qui devrait nous permettre fabriquer 15 000 Tuyaucom (à 59,30 euros le kit complet, NDLR) ?", s'interroge-t-il, en constatant de guerre lasse que "ceci est une autre histoire et personne ne s'en soucie"...
Mais si, monsieur Trotoux : votre histoire continue à préoccuper la rédaction Moto-Net.Com et ses lecteurs, qui font peut-être partie des quelque "290 000 motards" ayant utilisé cette invention française - et fabriquée en France ! - de 1996 à 2015... Peut-être qu'en tirant un Tuyaucom jusqu'à la place Beauvau, le message parviendrait finalement à qui de droit ?!
.
.
.
Commentaires
Ajouter un commentaire
Identifiez-vous pour publier un commentaire.