Avant de généraliser dans toute la France les "voitures-radar" privatisées qui circuleront à partir du 1er septembre 2017 en Normandie, la Sécurité routière tente de désamorcer la grogne des automobilistes et des motards en expliquant tous les bienfaits de cette réforme... Explications.
Conformément à la décision annoncée par Manuel Valls lors du CISR le 2 octobre 2015, le gouvernement expérimente depuis vendredi autour d'Evreux (27) les six premières "voiture-radar" privées, qui circuleront à partir du 1er septembre 2017 en Normandie avant de s'étendre à toute la France. MNC fait le point sur cette nouvelle étape décisive dans le processus de privatisation de la sécurité sur les routes.
La principale raison invoquée par le gouvernement est de "libérer du temps de travail pour les forces de l'ordre (équivalant à 400 emplois temps plein), qu'elles consacreront à des tâches mieux en rapport avec leur qualification au profit de la lutte contre l'insécurité routière, comme la recherche des conduites en état d'ivresse ou après prise de stupéfiants, la lutte contre la délinquance et la protection de la population. Elle permettra également d'augmenter le temps d'usage des voitures-radar afin d'assurer un meilleur respect des limitations de vitesse sur l'ensemble du réseau".
En réalité, sur fond de crise budgétaire et de libéralisation progressive, l'Etat poursuit son désengagement des différents secteurs de la société en sous-traitant au privé des activités qui lui étaient traditionnellement réservées. C'est le cas de cette privatisation des voitures-radar, qui permettrait par ailleurs de créer "1000 postes de chauffeurs dans le secteur privé" selon les calculs de la Sécurité routière.
"Dans les prochaines semaines, une consultation sera lancée en vue de sélectionner un prestataire régional au titre d'un marché public", se contente d'indiquer le gouvernement en assurant que "l'entreprise désignée ne pourra être intéressée au montant des amendes et aucune prime ne sera indexée au nombre de flashs. Les véhicules confiés à l'entreprise titulaire du marché resteront pour leur part la propriété de l'État".
Rappelons que fin 2015, l'association Anticor a déposé une plainte contre X pour "délit de favoritisme et prise illégale d’intérêts dans le cadre de l’attribution des marchés publics du contrôle automatisé des infractions routières (radars automatiques)". L’association de lutte contre la corruption s’appuyait notamment sur un rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) de mars 2014 sur les relations entre l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) et les sociétés du groupe Atos. Ce rapport de l'IGA, qui dépend du ministère de l'intérieur, pointait des "errements" au bénéfice "d’un fournisseur dont nombre d’éléments indiquent qu’il profite d’une rente de situation pour pratiquer des prix élevés"...
Hasard ou coïncidence ? Le groupe Atos (dirigé par Thierry Breton, ex-ministre de l'économie et proche de Nicolas Sarkozy) s'est fait dépouiller fin 2015 de ce juteux marché au profit de la société Capgemini (dirigée par Paul Hermelin, ancien directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn et proche de François Hollande)...
La plainte d'Anticor a quant à elle abouti à l'ouverture d'une enquête par le Parquet national financier (PNF), confiée le 29 mars 2016 aux policiers de l'Office central de lutte contre la corruption (OCLCIFF).
"Lorsque la voiture-radar circulera, son conducteur n'aura aucune indication relative au constat d'infraction par le mécanisme qu'il transporte", assure le gouvernement : "il ne saura ni quel véhicule a été photographié, ni combien. Il en va de même pour l'entreprise qui l'embauche, qui ne pourra jamais accéder à la partie concernant les clichés de verbalisation, ni connaître le nombre d'infractions constatées par le biais des véhicules dont il a la charge durant leur conduite (les véhicules, lorsqu'ils ne seront pas utilisés, seront garés dans les locaux de la police ou de la gendarmerie)".
Concernant les risques de piratage, la Sécurité routière prévoit que "les données enregistrées par les voitures-radar seront envoyées de façon cryptée aux officiers de police judiciaire en charge de la verbalisation" basés au Centre national de traitement des infractions de Rennes. "Il ne s'agit bien évidemment en aucun cas de déléguer à des sociétés privées des compétences régaliennes", jure le gouvernement en soulignant que "cela serait interdit par la constitution".
Actuellement, l'équipage des 383 voitures-radar qui sillonnent le réseau routier est composé de deux policiers (ou gendarmes) : Pinot est "affecté à la conduite" pendant que Cruchot "modifie sur une tablette les changements de limitation de vitesse qui surviennent sur l'itinéraire emprunté". Aucun des deux n'a pour mission de constater l'excès de vitesse, puisque c'est précisément le système embarqué qui s'en charge avant d'envoyer le tout à Rennes.
Les futures voitures-radar privées n'emploieront plus qu'une seule personne, le conducteur - en attendant les voitures autonomes ! -, car "quatre caméras (deux à l'avant et deux sur la plage arrière)" lui permettront de lire les panneaux de limitation de vitesse. Le radar pourra donc fonctionner "de manière autonome, sans aucune intervention du chauffeur", dont le seul travail sera de "suivre l'itinéraire pré-programmé pour chaque mission" au moyen d'un navigateur GPS .
Le radar lui-même sera identique au modèle actuel et sera toujours camouflé dans la plaque avant des nouveaux véhicules privatisés, tandis que l'appareil photo numérique sera toujours fixé sur le tableau de bord.
En revanche, une carte animée permettra aux opérateurs privés de "localiser plusieurs voitures-radar en circulation dans un territoire à sécuriser (sic)", prévoit la Sécurité routière. Le prestataire privé pourra ainsi "superviser en permanence les missions des voitures-radar dont ils auront la charge" et "si le chauffeur s'écarte du parcours indiqué, son responsable hiérarchique pourra immédiatement le constater grâce au dispositif de géolocalisation dont le véhicule est équipé en permanence".
"S'agissant de matériel de mesures de la vitesse en déplacement, des marges de tolérance supérieures ont été retenues", souligne la Sécurité routière : au lieu de 5 km/h jusqu'à 100 km/h et 5% au-delà pour les radars fixes classiques, une marge de "10 km/h en plus de la vitesse autorisée ou 10% selon ce qui est le plus favorable au contrevenant" sera accordée afin que "toute personne normalement attentive aux limitations de vitesse [puisse] rouler sans crainte d'être verbalisée"...
"En aucun cas les entreprises ne seront rétribuées au nombre d'infractions enregistrées", assure la Sécurité routière : elles seront rémunérées "en fonction du nombre d'heures de conduite effectuées". Ce nombre d'heures de conduite, les trajets effectués et les plages horaires de contrôle seront fixés par les services de l'État "en fonction des critères d'accidentalité locale et ne seront en aucun cas laissés à la libre appréciation des entreprises ou de leurs conducteurs".
On se souvient à ce propos que le gouvernement affirmait sans rire que les radars étaient tous placés à des endroits dangereux, alors qu'il suffit de circuler pour constater que nombre de boîtes grises sont implantées dans des zones sans risques particuliers pour la vie des utilisateurs...
"Le chauffeur ne peut en aucune manière savoir si un automobiliste croisé a été flashé", explique le gouvernement. L'ordinateur de bord est en effet supposé n'émettre aucun signal, tandis que "le flash infrarouge ne se voit pas à l'œil nu", précise la Sécurité routière. Et puisque le responsable hiérarchique du chauffeur, posté devant son écran de contrôle, ignore lui aussi si le radar s'est déclenché, "il ne peut pas y avoir d'intéressement aux amendes ni de "course au chiffre" pour la société privée chargée de faire rouler les véhicules"...
C'est le pari de 40 millions d'automobilistes, qui lance une "manifestation numérique" en se basant sur une étude d'Harris Interactive selon laquelle 78% des Français y sont opposés (contre 83% il y a un an).
L'association souhaite "faire reculer le gouvernement et impliquer les candidats à la présidence de la République" en invitant les automobilistes à "envoyer une photo d'eux ou de leur voiture directement par MMS à Pierre Chasseray, délégué général de l'association, au 07 89 99 63 63 ou via le site www.nonalaprivatisationdesradarsembarques.com".
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