Moins de trois semaines après sa double fracture tibia-péroné, Valentino Rossi a terminé 5ème du Grand Prix d'Aragon MotoGP 2017... Exploit admirable ou prise de risques effrayante ? Comment font les pilotes moto pour surmonter d'aussi graves blessures ? MNC a interrogé les dirigeants de teams de pointe et un kinésithérapeute.
Souvenez-vous : jeudi 31 août 2017 - jour du 20ème anniversaire de son premier titre mondial -, Valentino Rossi termine une boucle d'enduro qu'il a l'habitude de réaliser chaque année près d'Urbino (Italie), sa ville natale. Soudain, il tente de rattraper une glisse de sa moto en posant le pied droit au sol. La sanction est immédiate : fracture du tibia et du péroné pour le nonuple champion du monde.
"Le tibia et le péroné sont deux os situés à l'avant la jambe, articulés ensemble", nous éclaire un kinésithéraptheute diplômé en médecine du sport. Interrogé par MNC, il précise qu'il s'agit de zones d'appuis essentielles, surtout le tibia, "car tout le poids du corps repose dessus". "Dans son cas, la fracture était déplacée, ce qui signifie que les os n'étaient plus alignés et devaient par conséquent être fixés à l'aide de matériel d'ostéo-synthèse".
Voilà donc Rossi la jambe fracturée alors que la nuit tombe, à se demander comment ses amis vont s'y prendre pour le rapatrier... "J'ai eu un peu peur à cet instant", confie la star italienne avant d'avoir confirmation de sa double fracture. Rossi comprend immédiatement qu'une telle blessure - similaire à celle contractée à la même jambe en 2010 - stoppe nette sa course au titre 2017, lui qui pointe au 4ème rang à 26 points du leader alors qu'il reste six courses à disputer...
A 38 ans, fort de ses neuf titres mondiaux, le génie des alpages aurait pu décider de se résigner, de faire une croix sur sa fin de saison pour prendre le temps de panser ses plaies. Mais c'était sans compter sa force mentale hors du commun : pendant que Yamaha annonçait son forfait au GP de San Marin prévu dix jours plus tard, Valentino Rossi s'activait en coulisses pour préparer son retour "le plus tôt possible" !
Interrogé par MNC, Hervé Poncharal approuve : "Valentino n'avait pas besoin de revenir ! L'argent et la gloire, il les a déjà. Pour le titre, même s'il restait une petite chance mathématique, il savait que c'était râpé. Il voulait revenir car rien ne lui fait plus plaisir que de rouler sur sa M1. Il l'a fait par amour du sport et ça c'est beau à une époque où tout est calculé", nous confie, admiratif, le team manager de Tech3 et président de l'IRTA.
Bien aidé par son statut de star mondiale, Rossi organise son transfert de l'hôpital d'Urbino à l'Azienda Ospedaliero-Universitaria Ospedali Riuniti d’Ancône, où une opération chirurgicale est réalisée en urgence entre 2h00 et 3h00 du matin par le docteur Raffaele Pascarella, directeur des divisions orthopédie et traumatologie.
A peine quelques heures se sont écoulées entre sa chute et son intervention réalisée par une "pointure", durant laquelle ses fractures sont fixées à l’aide d’un clou intramédullaire (à l'intérieur de l'os). Cette prise en charge ultra rapide est l'une des clés de son retour : tous les athlètes de haut niveau anticipent ce cas de figure, et leur dossier médical est prêt à être transféré à des spécialistes de haut vol.
Pour un individu "lambda", la jambe fracturée aurait simplement été plâtrée, et donc immobilisée pendant un minimum de trois semaines. De même, l'accès immédiat à un chirurgien pour des traitements de pointe visant une récupération rapide ne sont pas proposés au premier venu : ces soins sont réservés à une certaine forme d'élite.
Car vous en connaissez beaucoup, vous, des praticiens qui opèrent à 2h du mat' un patient tout juste blessé ?! L'identité dudit patient et son profil jouent évidemment un rôle, c'est une question d'enjeux. Or, tout l'enjeu pour Valentino Rossi était de raccourcir au maximum sa convalescence, estimée à l'origine entre "30 et 40 jours"...
Une durée de repos déjà assez courte au demeurant : à titre d'exemple, le site officiel de l'assurance maladie de la Sécurité sociale préconise un arrêt de travail allant de "28 jours à 150 jours" pour une fracture tibia-péroné déplacée, selon que l'activité est plus ou moins physique. Et l'on sait que piloter une moto de 270 ch pendant 25 tours de course est pour le moins exigeant !
Mais dès le lendemain de sa chute, le bien-nommé "Docteur" constate que son état de forme est bien meilleur que lors de sa précédente double fracture de 2010 (plus grave à l'époque, car ouverte). Son programme de rééducation éclair s'accélère encore, avec cette fois un but précis : reprendre le guidon dès le GP d'Aragon (Espagne) le 24 septembre, alors que son retour n'est attendu que pour la tournée d'outre-mer, qui débute au Japon ce week-end !
Pour se jauger, Rossi réalise quelques tours sur une R1 de série à Misano (Italie), puis confirme son souhait de s'aligner en Aragon : seulement 23 jours après sa chute, l'italien est de retour en course ! Et loin de jouer les accessits, il se qualifie troisième puis brigue un temps la victoire, avant de rétrograder à la 5ème place en raison d'une baisse de forme et de l'usure de son pneu arrière. Un authentique exploit !
Rossi n'est pas le premier pilote moto à avoir fait ce choix risqué, celui qui consiste à passer outre les souffrances de son corps pour continuer à courir coûte que coûte. En matière de précédents mémorables, on se souvient de Jorge Lorenzo qui avait pris le départ du GP de Chine 2008 avec une double fracture de la cheville droite et un ligament rompu à la cheville gauche, suite à un violent high side pendant les essais libres.
Le majorquin - qui débutait en MotoGP ! - terminera la course 4ème, avant de se présenter en chaise roulante à la course suivante, le GP de France, où il se classera deuxième derrière... Rossi ! Cinq ans plus tard, en 2013, le même Lorenzo avait forcé l'admiration de tous en s'alignant au GP des Pays-Bas seulement 30 heures après s'être fracturé l'épaule. Autant de blessures qui demandent à une personne "normalement constituée" des mois de récupération et de multiples séances de rééducation...
Autre exemple ? Le français Randy de Puniet a lui aussi serré les dents à plusieurs reprises en roulant blessé, notamment en 2011 quand il a disputé le GP de Grande-Bretagne une semaine après s'être abîmé un ligament à la cheville droite.
Enfin, comment oublier le tour de force de Mick Doohan, champion du monde en 1994 après avoir frôlé l'amputation suite à sa chute aux Pays-Bas en 1992 ? Le "roc" australien était revenu trois mois seulement après sa chute pour défendre son statut de vice-champion du monde face à Wayne Gardner, lors des deux dernières courses de la saison 1992...
Amaigri, le visage marqué par des rides de douleur, Doohan était entré à ce moment dans la légende par son courage et sa détermination. Un épisode marquant, à la fois admirable et effrayant... Les pilotes moto seraient-ils plus durs au mal que les autres ? Comme prédisposés à repousser les limites et faire fi des risques liés à une autre chute qui surviendrait dans la foulée ?
"Le sportif est programmé pour aller au bout de lui-même, quel que soit le sport", nous répond Christophe Guyot du GMT94, le team champion du monde en titre en Endurance mondiale (EWC) et récent vainqueur de l'épreuve d'ouverture de la saison 2017/2018 au Bol d'Or. "Ce qui limite un sportif, ce sont les règlements et l'aspect médical", poursuit-il.
Interrogé par MNC, le team manager se souvient de son expérience de pilote de haut niveau : "quand il m'est arrivé de me blesser, notamment au poignet l'année de mon titre de champion de France Superbike (en 1998, NDLR), je ne regardais pas si c'était dangereux de prendre un médicament, mais s'il était interdit. C'est ce qui fait la force et la faiblesse d'un sportif".
Valentino Rossi, qui s'est présenté avec une béquille et la jambe bandée aux premiers essais du GP d'Aragon, a d'ailleurs expliqué que "les traitements médicaux ont beaucoup progressé : en 2010, j'étais très mal pendant cinq ou six jours alors que cette fois j'ai pu rentrer chez moi le lendemain".
Derrière cette explication se profile l'ombre délétère du dopage, qui permet dans certains sports d'aider un athlète à se "retaper" rapidement. Les observateurs les plus cyniques estiment ainsi que les retours héroïques de certains pilotes moto s'appuiraient sur des traitements anti-douleurs illicites, ou du moins "à la marge" du règlement...
Pour Christophe Guyot et Hervé Poncharal, ce scénario aussi injuste qu'infondé. Le boss de Johann Zarco et Jonas Folger (respectivement 6ème et 10ème pour leur première saison en MotoGP) s'agace même de de ce qu'il considère comme "des fantasmes".
"Nous sommes tenus au même code sportif que celui des Jeux olympiques, nous subissons donc les mêmes contrôles aléatoires durant les séances d'essais et après les courses", nous révèle Hervé Poncharal : "il faut arrêter les fantasmes, personne n'a envie d'envoyer les pilotes au casse-pipe ou de les faire prendre des produits dopants", assure-t-il. "Il faudrait être idiot, car de toute manière si le pilote n'est pas apte à courir, il ne passera pas le contrôle médical".
Et Christophe Guyot de renchérir : "il ne faut pas s'imaginer n'importe quoi quand Rossi parle d'anti-douleurs, qu'il s'agit d'un traitement "de cheval". Les seuls traitements tolérés par le règlement sont des piqûres localisées de cortisone, ou du Doliprane pour faire passer la douleur. Il est de toutes façons exclu de donner à des pilotes quoi que ce soit qui puisse altérer leur vigilance, leur concentration et leurs réflexes".
De mémoire de Moto-Net.Com, les seuls cas litigieux relevés dans l'ère moderne de la compétition moto concernent Anthony West, suspendu pour dopage pendant 18 mois en 2013, et le crossman James "Bubba" Stewart, écarté "de toutes compétitions moto" par la FIM en 2014 après un contrôle positif de l'agence mondiale antidopage. Deux cas isolés, loin des scandales à répétition qui touchent d'autres sports comme, au hasard, le cyclisme sur route...
Il ressort de ces explications que les pilotes moto sont très strictement encadrés médicalement parlant, et que l'origine de leurs exploits est davantage d'ordre mental. La motivation, la concentration et le goût du dépassement de soi sont à l'origine de leur bravoure, et l'adrénaline libérée par l'excitation de la course est la seule substance qui "dope" leur organisme !
Valentino Rossi, comme d'autres pilotes avant lui, a appréhendé sa blessure comme un obstacle à surmonter, une course contre la montre et la douleur. Or, pour un compétiteur de cette trempe, l'objectif est toujours le même quand un challenge se présente : gagner. Dans le cas présent, la victoire consistait à (se) prouver sa capacité à faire face à l'adversité.
Mission accomplie puisque même ses adversaires sont estomaqués ! "C'est déjà incroyable d'être ici après ce type de fracture, je crois que personne ne l'a jamais fait", a applaudi Marc Marquez. "Et c'est tout aussi incroyable qu'il n'ait fini qu'à cinq dixièmes de Viñales, avec la même moto", renchérit l'officiel Honda, pourtant pas le plus grand fan du Docteur depuis le "Clash de Sepang"...
Psychologiquement, cette cinquième place est l'un des plus beaux succès remportés par le n°46, dont l'immense carrière en compte pourtant déjà 115, dont 89 en catégorie reine ! Au passage, Rossi réussit un autre exploit : celui d'occuper encore plus l'espace médiatique, lui dont la page Facebook comptabilise plus d'abonnés que celle du site officiel du MotoGP : 13 211 147 contre 12 337 612 à ce jour !
"Moi je dis chapeau", nous confie pour sa part Hervé Poncharal, qui explique s'être montré "un peu dubitatif" à l'annonce de son retour en Aragon. "Je pensais qu'il ne ferait que la FP1 (la première séance d'essais libres qui se tient le vendredi matin, NDLR)", développe le team manager de Tech3. "Et puis j'ai discuté avec lui, et j'ai vu qu'il était capable et très déterminé à le faire. Il a serré les dents et a beaucoup travaillé pour y parvenir".
Parmi cette charge de travail figurent des séances de rééducation très actives : "un patient lambda va suivre deux à trois séances de rééducation par semaine, quand un sportif de très haut niveau tel que Valentino Rossi va pouvoir y consacrer ses journées entières, avec un accès aux technologies les plus avancées et un suivi personnalisé assuré par les meilleurs spécialistes", souligne le kiné interrogé par MNC.
Au-delà de l'admiration de son exploit, se pose la question des éventuelles répercussions négatives d'un retour en course seulement trois semaines après une double fracture. Valentino Rossi, de par son statut d'icône des Grands Prix moto, risque-t-il de créer un précédent malsain ? Une sorte de modèle à suivre impérativement ?
En clair, un pilote moto blessé ne serait-il pas tenté à l'avenir de prendre tous les risques, au prétexte que Rossi l'a fait avec succès ? Et pire encore, ne risquerait-il pas d'y être poussé par son employeur ou ses sponsors ? Les plus jeunes, notamment, pourraient estimer que si l'italien de 38 ans parvient à décocher un Top 5 en MotoGP avec une jambe fracturée 23 jours plus tôt, ce genre d'exploit est aussi à leur portée.
"Je ne suis pas du tout d'accord avec ça, je ne trouve pas cela malsain", rétorque Hervé Poncharal. "C'est très français de tout critiquer : s'il reste à la maison, c'est une feignasse. S'il revient trop vite, c'est malsain !"
"Est-il revenu trop tôt ? Non, comme en témoignent ses performances. Il a pris tous les conseils de ses amis chirurgien et il est revenu après avoir pesé le pour ou contre. Sa fracture était par ailleurs moins grave qu'en 2010, chaque blessure est particulière et la sienne a été soignée plus facilement", poursuit le dirigeant des teams Tech3 engagés en Moto2 et en MotoGP.
"En tant que manager, il est évident qu'on n'enverra jamais un pilote s'abîmer plus que ce qu'il n'est déjà", répond Christophe Guyot quand MNC lui demande si un pilote blessé pourrait être "fortement encouragé" à rouler par son team ou ses sponsors.
"A l'inverse, je me rappelle avoir empêché David Checa de rouler en Italie, car il était blessé. Mais les enjeux étaient moindres, économiquement, par rapport à un Rossi qui est le pilote le plus "bankable" du plateau", ajoute le fondateur du Guyot Motorcycle Team (GMT) : "c'est aussi pour cette raison que cette situation va de toute évidence servir de précédent, en raison du statut même de Rossi. Cependant, il y a déjà eu beaucoup de précédents : Schwantz et ses poignets cassés, Lorenzo et ses chevilles brisées, le même Lorenzo et son épaule fracturée... Toute la responsabilité revient au médecin qui donne son aval, et qui va ou non autoriser le pilote à réaliser son exploit".
Pour le manager du GTM94, à partir du moment où le médecin fédéral donne son feu vert, le pilote "ne se préoccupe pas de savoir si c'est dangereux ou pas : chacun en jugera ce qu'il veut, mais c'est naturel qu'un pilote veuille tout faire pour rouler".
Or cette autorisation médicale est délivrée - ou non - après un examen complet réalisé par le corps médical du circuit sur lequel le retour du pilote est prévu. Pour Christophe Guyot comme pour Hervé Poncharal, ce système est garant d'une sécurité sans faille et d'une parfaite neutralité.
"Les médecins qui donnent l'autorisation de rouler sont tout à fait autonomes, indépendants du promoteur Dorna", rappelle Hervé Poncharal. "Ce sont eux qui ont pris la responsabilité de le laisser rouler, en le déclarant apte. Tout Rossi qu'il soit, cela ne change rien : s'ils avaient mis leur veto, il n'aurait pas été autorisé à reprendre le guidon".
"Par le passé, certains pilotes ont voulu revenir trop tôt et n'ont pas été déclaré aptes : Jack Miller, par exemple, rageait quand les médecins lui ont refusé l'accès à sa moto l'année dernière après sa blessure aux vertèbres, car lui se sentait bien", se souvient le manager varois.
"Et franchement, ça aurait été dommage de ne pas laisser rouler Rossi au regard de ses performances et de l'absence de séquelles", conclut Hervé Poncharal. "Après la course, il n'était d'ailleurs pas particulièrement marqué physiquement".
Notons enfin que Valentino Rossi a pour la première fois utilisé en Aragon un inédit frein arrière déporté au pouce gauche, dans le but d'épargner sa jambe droite blessée. Contrairement aux systèmes traditionnels - dont celui installé sur la Honda de Doohan après sa chute en 1992 -, ce dispositif est à double commande : l'étrier de frein peut être actionné indifféremment par le pied ou le pouce.
Rossi a lui-même demandé au manufacturier italien Brembo de développer cette double fonctionnalité juste avant le GP d'Aragon, afin de pouvoir continuer à freiner au pied - comme il préfère le faire - dans les courbes à droite, tandis qu'à gauche il pressentait que sa jambe meurtrie ne lui permettrait pas de s'en servir correctement.
Une autre exemple de tout ce qu'on peut mettre au service des meilleurs pilotes du monde, afin qu'ils puissent continuer à nous faire vibrer aux commandes des meilleures motos du monde !
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04 août : GP de Grande-Bretagne
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01 septembre : GP d'Aragon
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22 septembre : GP Kazakhstan (annulé !)
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