Auditionné par les commissions des lois et de l'aménagement du territoire au Sénat sur les véritables justifications de la limitation à 80 km/h, le délégué interministériel à la sécurité routière n'a pas réussi à convaincre les sénateurs qui viennent de créer un groupe de travail... Explications.
Mercredi matin au Sénat, Emmanuel Barbe a tenté de convaincre les sénateurs du bien fondé de la limitation à 80 km/h imposée par le gouvernement à partir du 1er juillet 2018. Mais force est de constater que soumis au feu des questions pendant plus d'une heure et demie, le délégué interministériel à la sécurité routière a eu bien du mal à convaincre...
"Si le premier ministre s'est prévalu de résultats qu'il a qualifiés de "scientifiques", nous aimerions bien - puisqu'ils sont "scientifiques" - pouvoir les partager avec vous, parce que naturellement nous ne pourrions manquer d'être convaincus par des études "scientifiques", annonce le président de la commission des lois Philippe Bas (Manche, Les Républicains) dans un préambule fort diplomatique... mais non dénué d'une pointe bonne louche d'ironie !
"On a quelques raisons d'en douter", renchérit le président de la commission de l'aménagement du territoire Hervé Maurey (Eure, Union centriste), "parce qu'on ne nous donne pas pour l'instant les informations permettant d'étayer le bien fondé de cette décision"...
Directement interpellé sur le manque de justifications de cette limitation à 80 km/h, le délégué interministériel a d'abord rappelé les autres mesures du CISR du 9 janvier (téléphone au volant, éthylotests, etc.) avant d'asséner que "la vitesse est le facteur majeur de la sécurité routière et je ne vous dis pas l'excès de vitesse, je dis la vitesse"...
"La vitesse est le seul facteur causal d'accident et je vais raisonner par l'absurde : sans vitesse pas d'accident, c'est une évidence", a poursuivi M. Barbe en soulevant une bronca parmi son auditoire, pourtant pas composé de vilains motards barbus mais de sages sénateurs dûment cravatés !
"J'ai le cuir dur, je suis habitué à des débats difficiles", a prévenu le délégué interministériel qui a cité le déploiement des radars automatiques en 2003 pour tenter de démontrer que la baisse de la vitesse entraînait "mécaniquement" une baisse des accidents : "sur le réseau qui sera visé par la mesure 80 km/h (les routes nationales et départementales à deux sens sans séparateur central, NDLR), entre 2002 et 2005 on assiste à une baisse de la vitesse moyenne pratiquée de 7%, et dans le même temps on assiste à une baisse de la mortalité de 37%".
"Cette expérimentation n'avait qu'un seul but : mesurer l'effet de la baisse des vitesses maximales autorisées (VMA) sur la vitesse moyenne pratiquée, car l'effet mécanique sur la baisse des accidents est démontré", poursuit M. Barbe en estimant que "de ce point de vue c'est une expérimentation tout à fait probante, puisqu'on constate des réductions de vitesse de 4 à 5 km/h sur les zones qui ont fait l'objet de ces expérimentations, et plus fort encore, des réductions sur la vitesse moyenne des poids lourds qui sont déjà normalement à 80 km/h et qui ont baissé leur vitesse".
"L'étude du Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, NDLR) ne portait pas sur l'accidentalité parce qu'en accidentologie, une période de deux ans sur 80 km, elle n'a juste pas de pertinence", a admis le délégué interministériel. "Ce qu'on a constaté en faisant une étude qui a été compliquée à faire, c'est qu'il y a plutôt une tendance favorable", a-t-il très prudemment avancé...
"M. le délégué, vous pouvez nous dire ça mais vous ne pouvez pas nous cacher l'étude", a répliqué Philippe Bas : "nous saurons, grâce à votre pédagogie sans doute, avoir le discernement nécessaire pour comprendre les limites de l'exercice !"
Ambiance... Mais au-delà du "manque d'acceptabilité" de cette mesure, fort justement souligné par Michel Raison, le sénateur de Haute-Saône rappelle - comme on le sait depuis 15 ans - que les chiffres de la sécurité routière sont faux : "sur la vitesse comme cause des accidents, j'ai interviewé des gendarmes qui m'ont dit : vous savez, quand il y a un accident et qu'on ne sait pas quoi mettre sur le papier, on met vitesse"...
Notons également l'intervention de Rémy Pointerau, qui illustre douloureusement le fossé qui se creuse d'années en années entre les gouvernements - quels qu'ils soient - et le pays "réel" : "sur le terrain, cette mesure est perçue par nos concitoyens comme une punition", souligne le sénateur UMP du Cher, et elle va "augmenter leur sentiment d'abandon et d'exaspération qui va se traduire aussi dans les urnes, je vous le signale au passage"...
"Moi je suis motard, je fais de la moto tous les week-ends en région parisienne", a par ailleurs rappelé M. Barbe sans pourtant réussir à convaincre les sénateurs - ni à leur fournir les résultats de l'expérimentation - puisqu'à l'issue de cette audition, "les deux commissions ont créé un groupe de travail commun sur la sécurité routière composé de trois membres : Michel Raison (Haute-Saône, Les Républicains), Michèle Vullien (Rhône, Union centriste) et Jean-Luc Fichet (Finistère, Socialiste et républicain)".
Le Sénat précise que "ce groupe de travail a été chargé de procéder à des auditions préparatoires à la tenue d’une table ronde sur la sécurité routière ouverte à tous les sénateurs".
Audition peu convaincante du délégué interministériel à la #securiteroutiere sur le #80kmh. Le #Senat met en place un gpe de travail
— Herve Maurey (@HMaurey) 24 janvier 2018
"Il s’agit de réunir les éléments d’information nécessaires pour évaluer, sans a priori, l’utilité pour la lutte contre l’insécurité routière d’une réduction à 80 km/h de la vitesse maximale autorisée sur certaines routes", soulignent Philippe Bas et Hervé Maurey en ajoutant qu'ils "attendent toujours de connaître les résultats et la valeur scientifique des études et de l’expérimentation que nous avons demandés par courrier au premier ministre dès le jeudi 11 janvier"...
Par ailleurs, "si cela s’avérait nécessaire, les commissions pourraient demander les prérogatives d’une commission d’enquête pour obtenir communication de ces documents. La sécurité routière est un enjeu essentiel, qui mérite davantage que des effets d’annonce", préviennent les sénateurs...
"Si à la fin de ce débat, les Français s'imaginent que c'est simplement en allant moins vite qu'ils participeront à une circulation plus sûre, vous leur aurez menti", a de son côté résumé Jean-Yves Leconte, sénateur (socialiste) représentant les Français établis hors de France, soulignant que "le plus important, c'est l'attention".
Visiblement peu disposé à s'entretenir avec les journalistes à l'issue de son audition, Emmanuel Barbe a coiffé son chapeau avant de s'éloigner rapidement... en plein milieu d'une question ! A suivre sur le Journal moto du Net : restez connectés...
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