L'association européenne des constructeurs de motos et scooters (ACEM) juge "irréalistes" les ambitions de l'Europe de réduire encore les émissions sonores des deux et trois-roues de 5 décibels (dB), tant sur un plan technique qu'économique. Explications.
L'ACEM - qui représente et défend les intérêts des constructeurs de motos et scooters en Europe - tire la sonnette d'alarme sur le renforcement des normes sonores en discussion à la Commission européenne, qui seraient "techniquement et économiquement très difficiles", voire "tout simplement irréalistes".
L'association s'appuie sur des études mandatées par ses soins auprès de consultants indépendants, qui ont réalisé une expérimentation inédite "sur le niveau réel du bruit émis par 8 deux-roues motorisés" avant de se livrer à une analyse détaillée du rapport coûts-avantages sur les moyens à mettre en oeuvre pour réduire les émissions de 2 dB et de 5 dB.
L'ACEM s'est livrée à cette impressionnante compilation de données - l'expérimentation compte 90 pages et le rapport bénéfices-coûts 84 pages ! - dans le but d'apporter davantage d'éléments concrets à la commission européenne pour "éviter toute lacune dans les phases préparatoires actuelles de l'élaboration des politiques qui conduiraient à des recommandations peu judicieuses".
Le "syndicat" européen de la moto prend surtout les devants en réaction aux projets de réduire drastiquement le niveau sonore des deux et trois-roues par rapport à la norme actuelle Euro5, qui contraint déjà les constructeurs à de gros efforts… L'ACEM juge par ailleurs que les recommandations de la commission sont basées sur une étude à la pertinence douteuse.
"En 2016/2017 (…) la Commission européenne a mandaté un consortium d'experts (Emisia, HSDAC, TNO et Ricardo) pour mener une étude sur les nouvelles limites sonores des véhicules au niveau Euro 5, qui comprend également une proposition justifiée par une analyse coûts-avantages de nouvelles options de limites sonores", souligne-t-elle.
"Compte tenu du contenu du rapport, du faible nombre de véhicules testés et surtout du manque relatif de robustesse de certaines des conclusions, l'ACEM a décidé de charger des experts indépendants et reconnus à la fois en CBA (Cost Benefit Analysis : analyses de coûts-bénéfices, NDLR) et en émissions sonores d'examiner minutieusement cette analyse coûts-bénéfices de l'étude 2017".
La phase d'expérimentation mandatée par l'ACEM a été confiée à l'Université de technologie de Graz (Autriche), tandis que la compilation "scientifique et objective" des données revient à la fondation Impact Assessment institute (IIA) et au cabinet britannique Accustica, consultant en ingénierie acoustique.
Le principe de l'étude est simple : l'Université autrichienne a précisément mesuré le bruit en dynamique de cinq motos et trois scooters, avant de les emballer dans du matériau d'isolation phonique pour évaluer la différence ! Pour faire bonne mesure, un système d'absorption additionnel à l'échappement est inclus dans cette étonnante expérience.
Les modèles testés - homologués Euro5 - sont dans l'ordre alphabétique : BMW R1250GS, Harley-Davidson Street Bob, Honda Forza 125, Kawasaki Vulcan S, KTM 390 Duke, Piaggio Vespa 300GT, Triumph Street Triple 765 et Yamaha Tmax 560. Tous se sont vus plus ou moins "enrubannés" pour déterminer le gain sonore maximal, avec à la clé un surpoids jusqu'à 32 kg pour la BMW et jusqu'à 35 kg pour la Harley !
Il en résulte une amélioration de 6,8 dB pour la R1250GS, mesurée à l'accélération en 4ème côté gauche. Le niveau sonore passe de 78,5 dB d'origine à 71,7 dB pour la version entièrement emballée, avec système additionnel à l'échappement. Ce niveau passe de 70,6 dB à 68,6 dB à vitesse constante - 50 km/h - sur le quatrième rapport, soit un gain de seulement 2 dB.
La Street Bob s'en tire un peu mieux : de 77 dB à l'accélération en 4ème à 66,5 dB (-10,5 dB) et de 69,5 dB à 67,3 dB à la vitesse constante de 50 km/h en 4ème (- 2,2 dB). Le Forza 125 ne recule lui que de 1,7 dB en phase d'accélération (76,5 à 74,8 dB) et de seulement 0,8 dB à la vitesse constante de 40 km/h (68,8 à 68 dB). La cause ? L'habillage du scooter, qui filtre mécaniquement les bruits !
Ce constat se vérifie aussi sur le Tmax, dont l'intensité atteint d'origine 80,2 dB en phase d'accélération - sacrément bruyant le maxi-scoot' Yam' ! - pour reculer à 79 dB (-1,2 dB) avec tout l'enveloppement. A vitesse constante, la valeur passe de 71,6 dB à 69,4 dB soit un gain de 2,2 dB.
Aussi intéressante soit-elle, cette démonstration apparaît un rien biaisée puisqu'elle s'articule autour de mesures passives à l'exception du "filtre" à l'échappement. Cela revient à porter un casque anti-bruit dans un environnement excessivement bruyant : on réduit certes la perception de la nuisance, mais pas son origine ni son intensité.
Réduire les émissions sonores exigent des actions en amont, notamment sur la conception des moteurs, l'aérodynamisme et les trains roulants. Une mécanique refroidie par eau est par exemple plus silencieuse car le liquide filtre les bruits mécaniques, tandis que le profil et la composition des pneus jouent un rôle dans le bruit de roulement d'une moto.
"Pour obtenir une réduction de 5 dB, les résultats de l'expérimentation indiquent qu'une refonte complète des véhicules serait nécessaire, avec un doute important quant à savoir si ce serait réalisable ou pas", confirme le rapport de l'Institut d'évaluation d'impact (IIA), en charge de l'examen coûts-bénéfices sur la base des éléments de cette étude.
"Les résultats indiquent qu'une réduction de la limite de 5 dB serait probablement infaisable pour les deux-roues les plus petits et très difficile voire potentiellement infaisable pour les motos de plus grosse cylindrée", ajoute la fondation belge.
"Une réduction de 2 dB nécessiterait des actions sur plusieurs sources et des impacts plus importants pour les scooters et motos de petite à moyenne cylindrée, que pour les motocyclettes haut de gamme", note-t-elle par ailleurs avec logique : les investissements en R&D se rentabilisent plus rapidement sur une moto à 30 000 euros que sur un scooter à 3000 euros.
Fortes de ces conclusions, l'ACEM envoie un message clair à la commission européenne : l'association des constructeurs "espère que ce travail de fond mettra une fois pour toutes de côté toute ambition de réduire les limites de 5dB, un scénario tout simplement irréaliste", tandis qu'une réduction de 2 dB lui apparaît déjà "techniquement et économiquement très difficile pour les fabricants".
L'enjeu est d'importance car le durcissement continu des normes sonores et environnementales fait peser de véritables menaces : rappelons que la même Commission européenne souhaite interdire la vente de voitures neuves thermiques - hybrides incluses - dès 2035.
La moto n'est pas explicitement mentionnée dans ce projet de loi… pour le moment : des eurodéputés seraient déjà à la manoeuvre pour intégrer les deux roues dans cette chasse aux sorcières propulsions thermiques. De quoi inciter les constructeurs de motos à faire profil bas, le plus silencieux possible…
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