Fondée en 1995 par un groupe de passionnés convaincus qu'une infirmité n'est pas un obstacle à la pratique de la moto, l'association Handicaps Motards Solidarité fêtera cet été ses dix ans avec un grand rassemblement de motards. Rencontre.
L'accident, vous y pensez souvent ? Pas la gamelle qui devient vite une anecdote à raconter entre copains mais le vrai accident, celui qui vous envoie à l'hôpital pour un moment et vous abîme sérieusement pour le restant de vos jours ?
Non, bien sûr. On évite de penser à ça, même si on sait bien que le risque est toujours là. Certains qui l'ont vécu en sont restés marqués pour de bon dans leur chair, jusqu'au handicap. Pas facile de remonter sur une moto après ça : le parcours est semé d'efforts, d'appréhensions, de douleur, d'une infinie patience et de pas mal d'argent.
Philippe ou l'impossibilité de renoncer
En 1979, Philippe roule en 125 cc jusqu'à ce qu'un grave accident lui immobilise définitivement un bras. L'année suivante, il tente de décrocher son permis grosse cylindrée mais le refus du médecin est sans appel : "vous trouvez que vous n'en avez pas eu assez ?" Alors adieu la moto... Philippe se résigne, passe son permis auto en 1982 mais peu à peu le manque réapparaît. La frustration devient telle qu'il va parfois jusqu'à rouler... sans permis.
En 1995, il apprend l'existence de Handicaps Motards Solidarité (H.M.S.). Avec l'aide de l'association, il reprend espoir et monte son dossier. Les épreuves sont loin d'être terminées : huit mois de démarches sont nécessaires pour convaincre l'administration ! A la dernière minute, une dernière hésitation le fait presque tout abandonner mais Philippe décroche finalement son permis de conduire. On est en 1996, pas loin de 20 ans après l'accident. Depuis, il écume les routes à raison de 15 000 km par an. Fin 1999, Philippe devient président de H.M.S. "pour renvoyer l'ascenseur, parce qu'on m'a beaucoup aidé. J'ai trouvé que c'était une bonne façon de les remercier tous", explique-t-il aujourd'hui.
Motivations et horizons divers
Des parcours comme celui de Philippe, Handicaps Motards Solidarité en rencontre régulièrement. Il y a dix ans, seuls les motards handicapés à la suite d'un accident, dont la passion était plus forte que tout, faisaient appel à ses services. Mais depuis quelques années, H.M.S. accueille de plus en plus de non motards. Victimes de la route, accidentés du travail ou handicapés de naissance, ils viennent tous avec leurs raisons propres. Mais tous ont pour objectif de se prouver qu'ils peuvent réussir avec un handicap, malgré les embûches et les avis "raisonnables" de leur entourage.
"Ces candidats sans passé motard représentent aujourd'hui un dixième des membres de H.M.S.", estime Philippe, souvent contacté par des parents qui voudraient que leur gamin puisse "lui aussi" rouler en scooter. Quelques-uns, une fois le permis en poche, ne monteront pourtant pas sur une moto. Il leur a suffit de se montrer qu'ils en étaient capables, ou bien le budget nécessaire à un side aménagé leur a fait défaut.
DES handicaps, DES motards, UNE solidarité
Le maître mot de l'association, c'est l'entraide : "DES handicaps, DES motards, UNE solidarité", résume Philippe. H.M.S. renseigne, informe, aide, donne des petits trucs et des bons plans, essentiellement grâce aux contacts avec les membres car ce n'est pas une structure c'est un réseau d'entraide et d'amis.
L'association dispose maintenant d'un side-car aménagé pour tous les handicaps (don de Honda financé par nombreux partenaires), d'une moto solo aménagée pour les membres inférieurs (don de Suzuki), d'une moto solo pour conduite main droite (don d'un particulier) et d'une moto solo pour conduite main gauche (financée par les motards), grâce à des coups de pouce venus d'un peu partout : la Mutuelle des Motards, Honda, Fournales, Brembo...
Comme le souligne Philippe, "l'association n'est pas là pour chercher à émouvoir, mais pour donner les coups de main, les coups d'entraide, les bonnes adresses. C'est à chacun de prendre son destin en main. Chez H.M.S., on ne cherche pas à obtenir de faveurs pour appuyer un dossier : si tu es capable d'avoir ton permis, tu l'auras !"
Dérogation médicale et parcours du combattant
Le sésame pour pouvoir rouler en moto ou en side-car avec un handicap, c'est la dérogation médicale délivrée par le service médical de la préfecture. Souvent, le dossier remonte jusqu'au ministère des transports ou fait des allers-retours entre différents bureaux. Car même si les esprits évoluent peu à peu, la moto reste considérée comme accidentogène et l'on peut comprendre les réticences à laisser un handicapé (re)monter sur une moto. Les plus chanceux pourront voir leur dossier aboutir en trois mois, mais le délai peut aussi atteindre un an. Parfois, il est même préférable de changer de département pour bénéficier d'une administration plus compréhensive... ou moins timorée.
H.M.S. tente aujourd'hui d'étendre son action vers le sport moto. Quelques-uns parviennent à décrocher une licence... quitte à se voir refuser le droit de courir au dernier moment, comme c'est arrivé en Hornet Cup en 2002. La ligue de Lorraine de moto-cross a connu un pilote amputé qui a couru plusieurs saisons mais qui n'a pourtant jamais pu obtenir son permis de conduire. Le sport moto n'est pas à l'abri des réglementations aux effets surprenants : ainsi, un pilote handicapé peut s'entraîner sur une piste de vitesse et il pourrait même courir... à condition d'être seul sur la piste ! Paradoxalement, ce sont les courses de côte qui sont les plus accessibles.
La compétition, justement...
Marc est né hémiplégique il y a 26 ans, mais c'est à se demander s'il s'en est rendu compte ! A quatre ans, il écumait déjà les pistes de ski de sa Savoie natale. Depuis, il a tâté du tennis, de l'équitation (au prix d'une fracture de la jambe), du vélo et encore du ski. La moto a commencé à le travailler vers ses 12 ans. Après beaucoup de patience, il a monté son dossier, navigué entre les écueils administratifs et décroché son permis du premier coup à 21 ans ! Aujourd'hui, il roule tous les jours sur sa R1, une moto capable de faire le bonheur de bien des motards. Mais ça ne lui suffit pas car ce qu'il voudrait maintenant c'est faire de la compétition sur piste. Comme beaucoup d'autres, il vient tourner à Carole le week-end et ses temps y sont plutôt encourageants malgré les conditions difficiles. Il y croit, et ses copains pistards y croient aussi.. Sa moto est aménagée, les commandes déportées sur le côté gauche, au guidon et au pied, et en piste. Il suffit d'apprendre à s'en servir...
Tout ce qu'il demande, c'est qu'on le "laisse faire ses preuves". Mais les règlements ne sont pas faits pour les cas à part, et c'est précisément ce que ne veut pas Marc : être à part. "Si je n'ai pas le niveau, je ne suis pas qualifié, OK, je ne cours pas. Mais si je peux faire un bon chrono, pourquoi on m'empêcherait de courir ?" Marc s'anime, s'emporte presque. Le sport, c'est sa passion. Son rêve, c'est de retourner en Savoie pour pouvoir skier et tenter la compétition. Il a toujours fait du sport depuis son enfance. Le seul sport auquel il a dû renoncer c'est le ski extrême : sa jambe ne lui permet pas d'aussi importantes prises de carres dans les pentes.
Exceptionnel ? Il s'en défend : "je ne suis pas plus doué ni plus volontaire qu'un autre, je fais ce que tout le monde peut faire ! Je n'ai jamais été réellement confronté à une vraie impossibilité. Simplement, il y a des choses qui viennent moins immédiatement, le temps que je trouve la bonne manière d'y arriver ou que je mette au point l'aménagement qui rend les choses moins gênantes". Alors, la compétition, pourquoi pas ?
Pas si simple, malheureusement
Christophe Guyot, team manager du GMT 94 champion du monde d'endurance, encourage Marc à se lancer et il est bien décidé à l'appuyer : "moi, ça m'embête qu'on interdise, qu'on empêche quelqu'un de pratiquer son sport. Alors sur le principe, je suis pour, bien sûr !" Tous les acteurs de la compétition ne sont sans doute pas aussi convaincus. Christophe se souvient d'un pilote à qui la licence a été retirée lorsqu'il s'est avéré qu'il n'y voyait que d'un oeil. Injuste ? "Un concurrent qui se fait renverser en course par ce pilote qui ne l'a pas vu pourrait se retourner contre l'organisateur qui a laissé participer un pilote "dangereux", donc on peut comprendre qu'un directeur de course, un organisateur, ou un responsable de la FFM ne veuille pas courir le risque d'aller en prison !", explique Christophe.
Le team manager estime qu'on se dirige de plus en plus vers une société "à l'américaine", où les désaccords se règlent souvent en justice. Rien de surprenant donc à ce que les acteurs de la compétition cherchent à éviter d'être pris en défaut... Or c'est là le fond du problème, qui doit être traité au cas par cas : c'est entre autres le rôle de la Commission de vitesse de la FFM. Christophe reste optimiste et rappelle que "la structure existe et elle marche bien. Quand le problème est posé sur la table, on est en mesure d'apporter de vraies réponses. S'il y a une difficulté, il y a un représentant des pilotes qui est là pour défendre les pilotes. Il doit présenter le dossier en réunion de la Commission de vitesse, après quoi il y a de vraies réponses".
H.M.S., dix ans déjà
L'association, qui s'apprête à fêter ses dix ans cet été, va tenter de rassembler tous ses membres sur un circuit. Le premier objectif est évidemment de rassembler le maximum des quelque 500 adhérents disséminés aux quatre coins de France et le second, auquel H.M.S. tient beaucoup, est de montrer à tous les amis et donateurs à quoi ont servi leurs aides au fil des années.
Mais comme H.M.S. est avant tout composée de motards, ce sera surtout un rassemblement de motards qui se raconteront des histoires de motards, de chronos d'enfer ou de travers pas possibles. Ils y mettront la même mauvaise foi que n'importe quel motard et on peut s'attendre à voir des bourres mémorables... Des motards comme les autres, en somme.
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