Poursuivant sa quête de plus grande sécurité à moto, Honda ose franchir un cap important en dotant les deux fleurons de sa gamme sportive d'un système de freinage ABS et CBS d'ici 2010. Inutile ou indispensable ? Premiers éléments de réponse en Allemagne.
Conviée à découvrir les efforts de Honda en matière de sécurité près de Baden-Baden, en Allemagne, toute la presse européenne attendait avec une impatience non dissimulée l'essai du premier prototype d'une 600 CBR dernier modèle équipée d'un freinage inédit combiné ABS et CBS...
Car ne nous y trompons pas, le risque est bel et bien important pour le premier constructeur mondial : en proposant une assistance au freinage sur le fleuron de sa gamme sportive, Honda prend le risque d'heurter les "puristes", aptes à voir dans cette assistance une diabolisation du pilotage, voire un gadget inutile...
Bienvenue dans le monde du e-freinage !
"La sécurité et le fun ne sont pas incompatibles." rétorque la firme japonaise. Et le discours du premier constructeur mondial - avec ses quelque 130 000 employés - est sans ambiguïté : lors d'une allocution à Tokyo en mai dernier, le président Fukui a déclaré vouloir équiper toute la gamme Honda (au dessus de 125cc) de l'ABS d'ici à 2010 !
Sans attendre cette échéance, un rapide coup d'oeil sur l'offre Honda actuelle montre déjà pas moins de 17 modèles qui peuvent recevoir l'ABS, pour une différence de prix qui va de 450 € pour le scooter S Wing 125 à 3400 € pour le Dual CBS - ABS de la Goldwing 1800 !
Des écarts qui s'expliquent par la diffusion prévue des modèles (et donc de l'amortissement du produit) : "Honda a fait un énorme effort sur la CB1000R en proposant le Dual ABS - CBS pour 600 € supplémentaires, alors que sur les grosses cylindrées la différence est normalement de l'ordre de 1000 €, nous explique Bruno Chemin, responsable de la communication pour Honda France. Un geste qui en dit long aussi sur les attentes du premier constructeur concernant ce modèle largement plébiscité (lire notre Essai Moto-Net.Com du 17 avril 2008) !
Honda, qui souhaite mettre à la portée de tous cette technologie permettant d'améliorer la sécurité de l'usager, ne cache pas sa volonté d'étendre son offre ABS. Après avoir noté une progression de 40% des ventes de modèles ABS en 2007 (une Honda sur trois vendue était équipée de l'ABS, soit 10 545 unités en France !), le premier constructeur mondial estime que le public est aujourd'hui suffisamment réceptif.
Le point sur l'ABS et le CBS |
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Quant à la technologie, Honda la juge désormais suffisamment maîtrisée pour pouvoir équiper les deux seuls modèles de la gamme (avec un maxi scooter 400 cc) qui ne proposent pas encore de freinage assisté : les CBR 600 et 1000...
"L'ancien système ABS - CBS Honda n'était pas compatible avec les exigences de nos machines à vocation sportive", précise l'équipe en charge du dossier chez Honda : "c'est pourquoi nous avons développé un nouveau système, dénommé Electronically Combined ABS, contrôlé par un dispositif "brake by wire", comprenant un ECU (Electronic Control Unit) qui commande des moteurs électriques, qui à leur tour gèrent de façon précise l'action de l'ABS et du CBS".
Ce qui confirme que Honda - comme BMW - a bel et bien fait le choix de l'électronique pour gérer le freinage. Une solution dictée par des raisons de rapidité de réaction et de poids : ce nouveau dispositif se divise en plusieurs parties distinctes qui peuvent se répartir de manière idéale sur la moto. Ainsi, le très important équilibre général d'une sportive peut-être respecté, malgré un surpoids que les ingénieurs Honda estiment à 8 ou 9 kg.
Avant de prendre connaissance de toutes les données techniques - à découvrir très prochainement sur Moto-Net.Com, restez connectés ! -, le principe peut se résumer comme suit : fonctionnant de concert grâce à l'ECU, l'ABS et le CBS permettent de garder une assiette neutre de la machine, quelle que soit la force exercée au levier. Selon Honda, il s'agit là de la condition la plus importante à un bon ressenti du freinage, car le système tolère une certaine plongée de l'avant, avant de rétablir l'assiette grâce une répartition avant-arrière adéquate.
Fonctionnant en parallèle, l'avant et l'arrière sont sollicités lors de chaque freinage, que ce soit au pied droit ou au levier ! Ainsi, lorsqu'on sollicite l'arrière, un signal électrique est envoyé au calculateur qui actionne les deux pistons avant droit de la moto.
L'ordinateur prend les commandes
Si la pression sur la pédale excède une certaine valeur, le circuit est alors dérouté - de manière complètement transparente pour le pilote - et c'est l'ordinateur qui prend les commandes du moteur électrique chargé de juguler automatiquement la pression du freinage sur l'arrière et l'avant de la moto, pour éviter de bloquer la roue et permettre à l'ensemble de rester en ligne.
Le principe est similaire avec un freinage exclusif de l'avant qui actionnera donc (avec une légère temporisation) l'étrier arrière : indispensable selon les concepteurs du système pour assurer une stabilité optimale de la moto et lutter contre les transferts de masse.
Le plaisir et la sécurité pour tous
"Notre stratégie aujourd'hui est claire", résume Bruno Chemin en rappelant que Honda a toujours été à la pointe de la technologie et de la sécurité (lire encadré) : "nous souhaitons apporter la meilleure technologie au meilleur prix et pour les utilisateurs de tous les niveaux. La moto n'est pas réservée aux pilotes, aux experts, mais aussi à des gens qui s'en servent tous les jours pour aller au travail, des débutants, des confirmés, des personnes qui ne sont pas tous forcément passionnées de motos, qui n'ont pas forcément envie de faire des stages sur des circuits, mais qui tiennent à leur sécurité".
L'objectif pour Honda est donc bien de préserver sa clientèle des aléas d'un freinage hasardeux, et ce même sur des machines à vocation sportive : d'après ses statistiques, le premier constructeur mondial admet qu'un pilote expérimenté freine plus court (sur le sec) sans ABS qu'avec... mais pas forcément du premier coup !
Plus frappant encore, ces statistiques montrent qu'un conducteur lambda aurait besoin de six essais avant de rejoindre les performances d'une machine équipée d'ABS ! Et sur le mouillé, les chiffres grimpent encore : même un pilote professionnel lancé avec une machine sans ABS aurait besoin de cinq à six essais pour égaler le temps d'arrêt d'une moto avec le dispositif.
Or, la technologie ABS combiné à un répartiteur de freinage (CBS) permet de s'affranchir de cette expérience, puisque dès le premier essai il est possible d'empoigner le levier à pleine main, sans craindre de dérobades et surtout en gardant le contrôle du véhicule en toutes circonstances : après tout, ne vaut-il pas mieux s'arrêter (légèrement) plus loin sur une chaussée sèche en situation d'urgence mais en gardant le contrôle sans chuter, plutôt qu'entrevoir la possibilité de s'arrêter plus rapidement dans les mêmes conditions, mais après plusieurs essais et en prenant le risque de perdre le contrôle (voire de s'arrêter plus loin) lors d'un freinage réflexe ?
Et sur piste, ça donne quoi ?
Après un (trop) court essai de quatre tours avec une 600 CBR prototype équipée de l'Electronically ABS Combined, le verdict est plutôt positif : certes, le tracé au grip irréprochable ne présentait pas de virages délicats, de dévers sournois ou d'enchaînements particulièrement techniques, mais les premières sensations sont excellentes. A aucun moment le dispositif ne gêne la mise sur l'angle et l'on retrouve l'homogénéité et le comportement très sain et prévenant de la bombinette japonaise.
Convaincus de l'efficacité de leur système et ne voulant pas transiger avec la sécurité, les ingénieurs Honda n'ont pas souhaité proposer un système déconnectable : dommage pour les utilisateurs piste et route qui souhaiteraient conserver toute la gestion de leur freinage sur circuit, puis, une fois revenus sur la route, repasser en mode "ABS-CBS" pour pallier l'imprévu...
Pas d'ABS déconnectable
"Nous n'avons pas proposé d'ABS déconnectable car nous ne voulions pas prendre le risque que l'utilisateur oublie de le remettre et se croit en sécurité !", explique Kazuhiko Tani, ingénieur en chef Honda. "Qui plus est, Honda continuera à proposer le modèle sans ABS pour les gens qui ne sont pas convaincus ou qui ne se destinent qu'à une utilisation Racing. Nous verrons ensuite comment évoluent les ratios de vente entre les deux modèles : en Suisse par exemple, les 600 et 1000 CBR ne seront proposées qu'en version ABS".
Le surpoids a le bon goût de se faire oublier et l'on rentre dans un virage comme avec le modèle d'origine. C'est d'ailleurs durant cette phase que le nouveau système doit se faire oublier : spécificité de la conduite sportive, les entrées en courbe sur les freins requièrent une parfaite confiance dans le train avant pour rentrer au point de corde avec un maximum d'angle et de vitesse.
Si le rythme imposé par le pilote Honda lors de notre essai ne nous a pas permis de mener la Supersport jusque dans ses derniers retranchements, plusieurs tests de freinages (y compris en entrées de courbe et sur l'angle) n'ont fait apparaître aucune réaction parasite : la machine ne se verrouille pas, les ordres donnés à la moto sont exécutés sans temps mort et le comportement global reste sain.
Restés sur notre faim côté expérience sur piste, les tests de freinages d'urgence, lancés sur une ligne droite d'une centaine de mètres, ont tôt fait de nous démontrer l'efficacité du système Honda : même en attrapant le levier droit à pleine main, la machine reste sur son axe et ralentit puissamment.
Loin du "stoppie"
Si la plongée vers l'avant reste très nette et s'apparente à une machine traditionnelle, le contrôle de l'assiette permet de garder les deux roues au sol et ce, de manière très douce et nullement saccadée. En forçant le trait, il reste possible de soulever légèrement l'arrière de la moto, mais on est loin du "stoppie" que provoquerait à coup sûr pareil freinage sur une machine ne disposant pas du dispositif ! (voir vidéo)
La force du système est d'être quasiment indécelable : lorsque l'électronique prend le relais (au dessus d'une certaine pression), le système maintient l'enfoncement du levier et / ou de la pédale, sans secousses désagréables et surtout de façon totalement imperceptible !
La sensation de contrôler son freinage est donc préservée, même quand le calculateur a pris le relais ! Seule l'utilisation unique du frein arrière trahit les limites du système sur le sec : s'il est difficile (voire impossible) de bloquer l'avant sur une piste sèche, avec une moto sportive bénéficiant d'une bonne monte pneumatique, bloquer l'arrière est à la portée de tous et l'on sent clairement le dispositif relâcher la pression à ce moment, puis la remettre, et ainsi de suite jusqu'à l'arrêt complet.
Un comportement finalement peu gênant, tant l'utilisation du seul frein arrière est confidentielle (hormis en tout-terrain ou en free style) et son emploi délicat : Honda assure que des pilotes expérimentés mettent 41% de temps en plus pour s'arrêter en actionnant la pédale seule avec une moto sans ABS...
Enfin, dernier regret de cet essai : l'impossibilité de tester le système sur revêtement mouillé ou à l'adhérence précaire (sable, gravillons...) : les résultats obtenus auraient sans doute été édifiants sur les possibilités du système, dans des conditions qu'un motard rencontre régulièrement sur route !
Victime des idées reçues ?
Pour Honda, l'avancée technologique représente le salut en termes de protection du motard : amélioration de sa visibilité avec le concept de scooter ASV-3, de sa sécurité avec le combiné ABS-CBS ou l'airbag, du contrôle total de la machine avec des courbes de puissance mieux remplies rendant le comportement plus prévisible et moins risqué... et surtout respect de la législation : on apprend ainsi qu'au mépris de ses ventes dans l'Hexagone, le constructeur a décidé de compliquer le débridage de sa récente 1000 CBR, portant le coup de l'opération à près de 1500 ou 2000 euros ! Un pari audacieux commercialement parlant, puisque sur certaines machines, un simple fil à couper suffit à remettre le moteur en configuration d'origine...
Ce message fort de la part d'Honda montre que la marque ne veut pas transiger avec les règles et qu'elle ne souhaite plus participer à la course à l'armement en termes de performance ultime : l'avenir, selon le premier constructeur mondial, réside dans un habile mélange de sécurité et de prise de plaisir en deux-roues.
Un discours qui peut interpeller, voire rebuter, mais après tout, en MotoGP, l'électronique a pris une place prépondérante dans le pilotage des machines, aidant à réduire les risques d'accidents (notamment de high side) et à augmenter leur efficacité au chrono : si l'assistance ne prend pas le dessus sur les sensations de conduite, tout en améliorant la sécurité de l'usager (notamment en phase délicate de freinages d'urgence) pourquoi s'en priver ?
Historique des innovations Honda |
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"Techniquement, il serait possible de généraliser l'ABS Combiné électronique sur le reste de la gamme Honda", poursuit Kazuhiko Tani, "mais le système est tellement sophistiqué qu'il ne se justifie pas sur des machines moins performantes. Qui plus est, il est sensiblement plus coûteux".
Honda continue par ailleurs à travailler sur un système qui améliorerait les distances de freinage sur le sec avec une moto équipée du système ABS, pour la rendre plus efficace qu'une machine n'en bénéficiant pas.
Quant au système de Contrôle de traction (TCS) inauguré en série il y a quinze ans, "nous l'avons stoppé car beaucoup de nos clients déclaraient que le TCS ne leur servaient à rien et qu'ils souhaitaient garder le côté "fun" de leur machine", explique Kazuhiko Tani. "Toutefois aujourd'hui, l'électronique étant omniprésente en compétition, il est probable qu'il y ait de nouveau une demande dans ce sens et que Honda y réponde en élaborant un nouveau TCS plus performant et ludique, basé sur les modèles de compétition". A suivre... Restez connectés !
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