Dans la course à l’armement pour contrer l’hégémonie Ducati, certains constructeurs du MotoGP n’hésitent pas à tester des solutions inédites. D’autres, comme Kawasaki, font le pari de revenir à des options déjà éprouvées. Explications.
Déshonorés par la vitesse de pointe supersonique de la Ducati GP7, sa maîtrise de l’adhérence en toutes circonstances et sa gestion parfaite de la consommation, les ingénieurs nippons ont travaillé d’arrache pied cet hiver pour se mettre à niveau de la balle rouge : aérodynamisme, électronique, distribution, les quatre marques ont rivalisé d’ingéniosité et de technologie pour pouvoir donner la réplique à un duo Ducati-Stoner qui s’annonce redoutable (lire Moto-Net.Com du 20 février 2008).
Si Honda s’interroge encore sur son système de distribution (à ressorts ou pneumatiques, lire Moto-Net.Com du 14 décembre 2007) à la veille de la première course de la saison, Yamaha et Suzuki semblent avoir figé leurs proto pour la saison à venir.
Du côté de l’usine championne du monde en titre, la voie à suivre semblait toute tracée : avec 11 victoires, 8 podiums et 5 pôles positions, la Ducati fait figure d’épouvantail dans la catégorie reine et ne devrait se contenter que de légères améliorations sur son - excellente - base (lire Moto-Net.Com du 11 janvier 2008).
Si, dès son arrivée en MotoGP, la Desmosedici a toujours fait état de la plus impressionnante cavalerie du plateau, la saison 2007 a surtout mis en avant - outre le talent de Stoner - la faculté de l’équipe de Bologne a passer cette puissance au sol.
Profitant de la réduction de la cylindré et de la baisse de puissance qui va - pour l'instant - avec, des progrès de l’électronique et des pneumatiques, Ducati a fait le choix de revenir à un calage moteur de type screamer - "hurleur en anglais, il est nommé ainsi à cause de son bruit plus aigu -. Une audace technique qui a payé et dont cherche aujourd’hui à s’inspirer le seul constructeur qui ne s’est pas imposé une seule fois l’an passé : Kawasaki.
Big-bang, Low-bang, Screamer : kesako ?!
Vocabulaire incontournable en catégorie reine, ces termes définissent le calage du vilebrequin d’un moteur et donc son ordre d’allumage. Démocratisé par Honda à la fin des années 90 (mais déjà expérimenté dès 1969 en side-car), le calage moteur Big-bang constituait alors la solution idéale pour passer au sol, les presque 190 cv - déjà ! - des machines 2 temps de l’époque.
Afin d’adoucir l’arrivée de la puissance sur la roue arrière, les ingénieurs mirent au point un procédé pour améliorer la régularité cyclique des moteurs : en répartissant les explosions de manière presque simultanée (avec un décalage d’environ 10 ° entre chaque cylindres), le moteur combine plus linéairement les phases de compression/détente et les efforts d’inertie.
En clair, le Big-bang améliore la motricité de la machine en lissant les pics de couple instantané de chaque cylindre : résultat, la bande de puissance est plus large et le pilote obtient une réponse plus douce et plus proportionnelle à la poignée de gaz.
Ainsi, il peut accélérer plus tôt et plus fort, car il sent l’adhérence de son pneu arrière. Ce type de moteur se distingue par un son plus grave, mais impose une puissance moteur légèrement inférieure qu’une architecture classique.
Actuellement en MotoGP, ce n’est plus vraiment des moteurs de type Big-bang qui sont usités, car les explosions ne sont pas simultanées : sur les quatre cylindres de la Yamaha et de la Kawasaki, le calage est à 90 °. Il y a 2 explosions consécutives à 90° d’intervalle, puis une rotation à vide de 270 ° - qui permet au pneu de se "reposer" - puis de nouveau 2 explosions avec 90 ° d’écart. Ce type de calage se nomme Low-bang et selon Yamaha, cela permettrait d’être aussi efficace qu’un V4, tout en étant plus compact.
Une architecture V4 qu'utilisent d'ailleurs les Honda, Suzuki, mais surtout Ducati ! On se souvient d’ailleurs que Valentino Rossi avait demandé dès cet été à Yamaha de se pencher sérieusement sur la conception de ce type de moteurs...
Pourtant si Suz’ et Honda partage le même type de motorisation avec l’usine de Bologne, aucun des deux constructeurs n’a pu suivre la cadence infernale de la Ducati ! La raison ? Contrairement aux dernières générations de 990 cc, le V4 de la GP7 est calé à 360° et les explosions se succèdent par paires de cylindres à chaque tour de vilebrequin : c’est le fameux calage moteur screamer !
L’arrivée de la puissance se veut plus brutale, moins maîtrisable et le pneu arrière a moins de répit entre chaque crêtes de couples. En contrepartie le moteur peut supporter de plus hauts régimes et donc afficher une puissance nominale supérieure aux calages irréguliers (Big-Bang ou Low-Bang).
C’est pourquoi Filippo Preziosi, le directeur technique de Ducati Corse, a profité de la réduction de cylindrée et des progrès de l’électronique pour ressortir un moteur screamer, que l’on avait plus vu depuis la NSR V4 2 temps de Doohan de 1998.
Convaincu que la clé du succès dans la nouvelle catégorie "800" ne se résumerait pas qu'à une maniabilité accrue, le génie des rouges a oeuvré à perdre le moins de puissance malgré le retrait de quelques 200 cc. Grâce au screamer parfaitement géré par l’électronique Magnetti-Marelli, la Desmo fit sa loi, dès les premières courses de la saison et Stoner pouvait voler vers son premier titre mondial...
Kawa veut passer la Ducati en ligne droite !
Echaudés eux-aussi par la puissance de la Ducati, les verts ont décidé de travailler cet hiver sur deux axes : une évolution du modèle précédent - développée par Randy l’an passé - confiée aux pilotes officiels et une ZX-RR à moteur screamer testée par OJ et Tamaki Serizawa.
Présente aux tests de Sepang (lire Moto-Net.Com du 8 février 2008), puis à Jerez (lire Moto-Net.Com du 20 février 2008), la Kawa à calage screamer a enregistré des résultats encourageant, même si son développement apparaît encore long : "nous ne faisons qu'entamer le développement du screamer et il faudra un peu de temps avant que John et Anthony puissent le tester. L'ordre d'allumage de screamer présente certains avantages par rapport à la version big-bang du même moteur. Il est plus puissant à haut régime et l'ordre d'allumage régulier suppose moins de contraintes physiques", explique Naoya Kanlo, le directeur technique du team
"Toutefois", reconnait le japonais, "il a aussi des désavantages, notamment en terme de souplesse. L'an dernier le passage de la 990cc à la 800cc s'est traduit par une réduction de la puissance. Depuis les pneus ont progressé et gérer la puissance est devenu plus facile grâce à l'électronique. Ces facteurs devraient donc favoriser le moteur screamer, on devrait pouvoir profiter du surcroît de puissance tout en gérant ses inconvénients grâce à l'électronique".
D’ailleurs, le directeur du team Ichiro Yoda s’est dit satisfait des prestations d’Olivier Jacques et n’a pas hésité à déclarer vouloir dépasser les Ducati en lignes droites ! Pourtant, si le modèle à calage screamer a enregistré quelques km/h de plus que la moto d’Hopper et de West, OJ s’est tout de même montré réservé quant à l’exploitation, rendue plus délicate, du bouilleur de le verte...
D’ailleurs, du côté de Yamaha - seule autre constructeur à utiliser un quatre cylindre en ligne - on s’avoue étonné de la démarche de Kawasaki : "nous n’utiliserons plus de moteurs type screamer : nous avons abandonné ce concept en 2003 et nous n’y reviendrons plus ", confie Masao Furusawa, le directeur technique de Yamaha.
Amusé de la démarche des verts, il légitime les intérêts du Big-bang : "le fonctionnement du moteur Big-bang est très doux et lisse durant sa rotation. Le pilote doit sentir au mieux son pneumatique et le commander avec précision avec l’accélérateur, or avec un moteur screamer le ressenti entre l’accélérateur et le pneu n’est pas bon surtout à haut régimes".
Selon Furusawa, si le calage irrégulier d’un Big-bang produit un bruit qui semble fluctuant à l’oreille - à l’inverse d’un screamer qui "sonne" de manière linéaire -, ce type de moteur est le seul à offrir une relative douceur de fonctionnement au pilote passé 12 000 tr/min. Il assurerait ainsi une parfaite maîtrise de la moto en sorties de courbes.
Un avis tranché à examiner avec attention : Yamaha a fait preuve d’immobilisme côté motorisation et l’on a pu voir les résultats de cette philosophie l’an passé... On note toutefois que Valentino Rossi était crédité de la meilleure vitesse de pointe lors des essais de Jerez la semaine dernière avec 282,2 km/h.
Sur la moyenne des cinq meilleures vitesses de pointe atteintes le Doctor dominait toujours (280,5 km/h) devant Casey Stoner (279,1), Nicky Hayden (278,9 km/h), Toni Elias (278,3 km/h) et Andrea Dovizioso (277,5 km/h). Là encore, mieux vaut se montrer prudent et se garder d'établir toute conclusion hâtive. Attendons la confrontation en course... Réponse donc dans moins de 10 jours à l'occasion du premier GP de l'année, sur Moto-Net.Com !
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