Cette fois, c'est officiel : le constructeur de motos britannique Triumph succèdera à Honda au rang de fournisseur exclusif des moteurs du championnat du monde de Moto2 à partir de 2019 pour une durée de trois ans. MNC fait le point sur cet excitant projet révélé au Mugello lors du GP d'Italie 2017 avec Eric Pecoraro, directeur marketing de Triumph France. Explications et interview.
C'était le secret le plus éventé du paddock des Grands Prix, au point même de ne plus être considéré comme tel depuis plusieurs mois : à partir de 2019, les Moto2 seront propulsées par un 3-cylindres en ligne Triumph dérivé de la Street Triple 765.
Le constructeur anglais succède à son rival japonais Honda, fournisseur exclusif de la catégorie intermédiaire depuis sa création en 2010, dont le contrat reconduit en 2014 avec le promoteur Dorna court jusqu'à fin 2018.
Les premières rumeurs - persistantes - concernant cette nouvelle association remontent à l'intersaison, certains annonçant même en janvier qu'elle serait officialisée dès l'ouverture au Qatar. "Cela fait six mois en gros que le moteur est prêt, mais certaines clauses contractuelles ont fait qu'il n'était pas possible de l'annoncer plus tôt, engendrant de fait un peu de retard", explique à Moto-Net.Com Eric Pecoraro, directeur marketing de Triumph France.
Le suspense aura finalement duré un peu plus longtemps que prévu, d'un point de vue officiel en tout cas : officieusement, les pilotes et les managers en discutaient déjà entre eux depuis le début de l'année, les premiers se réjouissant auprès des seconds des bénéfices attendus de cette nouvelle motorisation. "Cela fait presque un an que le projet est lancé", confirme le porte-parole de la fililale française, lui-même fervent amateur de compétition et pratiquant régulier sur circuit (voir l'intégralité de notre interview en page 2).
L'intégration du 3-cylindres sur les Moto2 est attendu par le plateau de la catégorie intermédiaire et par ses différents fabricants de châssis comme Suter, Kalex, Speed Up et Tech3. Tous nourrissent de fortes attentes, tant en raison de l'appréciable bouffée de fraîcheur offerte par ce changement de motorisation, mais aussi - et surtout - pour le gain attendu de performances. Le moteur actuel des Moto2, le 4-cylindres en ligne de la Honda CBR600RR, est en effet veillissant - Euro4 vient de sonner le glas de sa carrrière - et pas très puissant : environ 125 à 128 ch, soit à peine plus que la CBR d'origine.
D'autre part, la largeur des carters du 4-cylindres Honda - qui reste un moteur homologué pour la route et non un prototype de course - limite les possibilités de configuration de l'échappement ou des volumes des carénages dans cette catégorie où toutes les motos sont mécaniquement à ames égales. L'arrivée du trois-cylindres dérivé de la Street Triple - beaucoup plus moderne et compact - laissera davantage de libertés, d'autant que les modications apportées par la société ExternPro - en charge de la préparation finale des moteurs Triumph Moto2 - comportent justement des carters "différents et revus pour une largeur réduite" par rapport au bloc d'origine d'une Street Triple 2017 ci-dessous.
Autres changements notables pour transformer le "Triple" en bête de Grands Prix : des culasses modifiées, des soupapes en titane avec ressorts de rappel plus rigides, un kit alternateur "racing", un embrayage à glissement réglable et une boîte de vitesses revue (premier rapport allongé).
Autant de pièces rapidement développées par Triumph grâce à son expérience en compétition avec feu sa racée Daytona 675R, qui s'était imposée au Tourist Trophy et en championnat de France SBK 2007, ou encore en championnat britannique BSB (2014 et 2015). Le tout s'exprimant pleinement au travers d'un échappement quasi libre : le chant profond et mélodieux du 3-cylindres Moto2 vaudra désormais à lui seul le détour sur un Grand Prix (vidéo en bas de page) !
Pour autant, ceux qui comme MNC attendaient une hausse sensible de la puissance des Moto2 avec l'arrivée de Triumph en 2019 en seront pour leurs frais : nos premières informations faisaient part d'une valeur d'environ une demi-douzaine de chevaux supérieure aux 128 ch de la CBR... et ce sera bien le cas, nous confirme Eric Pecoraro. " C'est exact, notre moteur développe environ 135 ch. Mais il peut produire beaucoup plus, c'est une limite fixée en accord avec les dirigeants des Grands Prix. Techniquement, à titre personnel, je pense qu'ils veulent maintenir un gros écart de puissance avec le MotoGP".
Certes, il paraît cohérent de laisser à la catégorie reine le bénéfice de la "puissance brute" et de laisser le Moto2 assurer son rôle de passerelle entre les frêles Moto3 d'environ 55 ch et les monstrueuses MotoGP de 270 bourrins ! Mais il était possible de concilier ces exigences avec un peu plus de watts, surtout que 2019 marquera aussi l'introduction d'une nouvelle électronique unique en Moto2 qui intégrera un inédit antipatinage (les Moto2 sont les seules dépourvues de contrôle de traction en Grands Prix).
Une élévation de la puissance à 150 ch, voire 160 ch, ne semblait pas déraisonnable dans la mesure où les Moto2 pèsent tout de même 135 kg (contre 157 pour les MotoGP) et qu'elles sont solidement campées sur des pneus de 17 pouces, en 180 mm de large à l'arrière.
"Le moteur semble solide, notamment à mi-régime, il est impressionnant. Le ressenti entre l’accélérateur et la roue arrière est direct et contrôlable (une constante chez Triumph, NDLR)", révèle par ailleurs le pilote espagnol Julian Simon, champion du monde 125 cc 2009 et vice-champion Moto2 2010, qui a testé le bloc Triumph en configuration "course" sur le tracé d'Aragon (Espagne). "Le feeling général est très bon et le moteur a déjà fait preuve d’un excellent potentiel". On veux bien le croire au regard de notre essai enthousiasmant du roadster d'Hinckley sur circuit !
Dans ces conditions, pourquoi se contenter de "seulement" 135 ch ? Sans doute pour ne pas courir le risque de voir les Moto2 s'approcher de trop près des chronos des MotoGP sur des circuits très sinueux, comme Valence (Espagne) ou le Sachsenring (Allemagne).
Par ailleurs, même si Triumph se montre confiant sur la fiabilité de son moteur, cet aspect ne doit pas être écarté : le moteur Honda n'était peut-être pas un foudre de guerre aux yeux des pilotes de Grands Prix, mais son endurance était irréprochable. Le constructeur britannnique saura-t-il faire aussi bien dans ce domaine, sachant qu'une course perdue à cause d'un moteur cassé produit une énorme contrepublicité pour le motoriste ?
Au chapitre de la promotion et des retombées, justement, l'arrivée de Triumph en tant que motoriste Moto2 constitue une excellente nouvelle puisque cela ajoute un nom prestigieux à une liste qui s'est sacrément élargie ces dernières années : outre l'arrivée du constructeur indien Mahindra en Moto3, citons aussi le retour d'Aprilia et de Suzuki en MotoGP aux côtés de Ducati, Honda et Yamaha.
Tous les "grands" constructeurs véhiculant une image sportive seront donc représentés en Grands Prix à partir de 2019, à l'exception de BMW et Kawasaki (sauf contrordre d'ici là). Autre marque présente dans les trois catégories : l'autrichien KTM, dont l'arrivée cette année en Moto2 peut d'ailleurs créer des situations amusantes.
Rappelons en effet que KTM est le seul constructeur parmi les "majeurs" aligné en Moto2 : les autres sont des fabricants de châssis plus ou moins connus ou un team bénéficiant de grands talents internes, comme Tech3 et sa Mistral 610 conçue par le "Sorcier" Guy Coulon. Tous ces "petits" manufacturiers n'auront aucun problème à communiquer sur leurs victoires en Moto2 avec un moteur Triumph, dans la mesure où ils ne sont pas concurents sur le marché moto.
En revanche, la donne diffère avec KTM, adversaire frontal de Triumph sur plusieurs segments de la production moto (roadsters et trails, notamment). Pour valoriser leurs succès en Moto2, les Autrichiens vont ainsi être amenés à valoriser - indirectement - les qualités mécaniques de leur rival Triumph, quand ce dernier fera tout aussi indirectement la promotion des forces de la partie cycle développée par WP en cas de victoire de KTM !
"Nous fournissons toutes les équipes du Moto2 et KTM en fait partie, c'est vrai", admet Eric Pecoraro. "Mais s'ils gagnent, ce sera avec un moteur Triumph !", sourit le dirigeant français qui a désormais hâte "que les premiers pilotes expriment leurs premiers retours sur le moteur". MNC aussi !
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