Courir au TT, c’est couillu. Chuter au TT, c’est couillon... et souvent fatal. Matthieu Lagrive se souviendra longtemps de son premier Tourist Trophy et de sa chute en essai qui lui vaut plusieurs fractures (pied, poignet, omoplate, cervicale...) et une longue convalescence. Mais il reviendra, en Endurance comme sur l’Ile de Man. Interview.
Moto-Net.Com : Salut Matthieu, comment vas-tu ? Que t’es-tu cassé ?
Matthieu Lagrive : On fait aller. Je me suis cassé le pied et le poignet gauche, l’omoplate droite, la vertèbre cervicale C5... et puis voilà.
MNC : C’est déjà pas mal...
M. L. : C’est pas mal, hein ?! (rires)
MNC : Tu souffres ?
M. L. : Ouais, ouais, je souffre bien là...
MNC : T’es sous morphine ?
M. L. : Ouais, je viens justement de prendre un truc, ça fait son effet. Je suis posé (rires).
MNC : Tu es chez toi ?
M. L. : Chez mes parents, en Normandie.
MNC : J’ai un jeu de mots tout pourri : Courir au TT, c’est couillu. Chuter au TT, c’est couillon... et très dangereux. Comment est-ce arrivé, toi qui voulait découvrir l’épreuve tranquillement ?
M. L. : Ah oui je te confirme, c’est nul à chier ton humour (rires). Ma chute ? C’est une erreur d’appréciation, tout simplement, due à un manque de connaissance. Je venais de descendre de la R1, et je trouvais que j’étais pas bien dans un enchaînement de virages. Je monte sur la R6 et je me dis qu’en décalant un tout petit peu mon déclenchement, je serai peut-être mieux placé pour la suite. C’est un triple droit un peu en dévers avec des bosses qui commande un gauche. Mais il y avait plein d’autres paramètres à prendre en compte : la différence de vitesse entre la 1000 et la 600, le décalage, le nuancier des ombres, etc. Je me suis fait surprendre, j’étais plein angle et ça n’a jamais voulu tourner. J’ai presque réussi à la récupérer, mais la falaise m’a arrêté.
MNC : T’as perdu le grip ou tu es sorti ?
M. L. : Je n’ai rien perdu, je me loupe de peu... C’était un virage un peu engagé avec de la vitesse. Mon dernier souvenir, c’est que les deux roues tombent dans le fossé et je m’écrase contre la falaise.
MNC : Ensuite, rideau. Tu te réveilles quand, où ?
M. L. : C’est ça. Je sais ensuite que je suis en vie parce que j’entends l’hélicoptère. Et puis voilà...
MNC : Tu as présenté tes excuses auprès de tes proches pour avoir manquer de sagesse. C’est ce qui t’a vraiment fait défaut ?
M. L. : Bah aujourd’hui encore j’essaie de comprendre... J’ai vraiment fait en sorte d’être prudent, je n’ai jamais roulé au-dessus de mes pompes. Mais au final c’est souvent comme ça que ça se passe : tu veux trop bien faire, et ça arrive quand même. C’est comme ça, c’est le destin.
MNC : Le team Optimark Road Racing te donne RDV en 2024. Tu confirmes ?
M. L. : Bien sûr que je confirme, j’ai un sentiment d’inachevé alors que j’aime bien finir le travail. J’ai encore plein de choses à faire.
MNC : Tu es nullement dégoutté ou vacciné.
M. L. : Ah pas du tout, pas du tout. J’ai tout de même pris beaucoup de plaisir, c’est une belle aventure, c’est la découverte d’autre chose. En tant que pilote, c’est une introspection exceptionnelle, tu perçois différement, tu te concentres comme jamais.
MNC : Des sensations que tu n’as jamais ressenties durant ta longue et riche carrière ?
M. L. : Non. Peut-être que l’âge joue aussi un rôle (43 ans, NDLR). La sagesse, je suis plus zen... (rires) Nan là c’est sûrement les médicaments qui me shootent, je suis complètement canné.
MNC : Désolée de ton forfait, l’équipe française a été dévastée par le décès de Raul Torras Martinez. Pour beaucoup, cette course est insensée (267 pilotes morts au TT). Mais pour les pilotes, elle donne justement du sens à leur vie. Qu’en penses tu ?
M. L. : Je ne sais pas. Je n’irais pas jusqu’à dire que ça guide ma vie. Quoique ma vie, c’est la moto. Le TT te donne accès à de nouvelles sensations, jamais expérimentées. C’est très enrichissant mentalement, humainement, tu abordes les choses différemment. Et j’aime ça.
MNC : Tu conclues que la moto c’est fini pour toi cette année ? Tu ne seras pas à Spa ce week-end bien sûr, mais pas au Bol d’Or non plus ?
M. L. : Je ne serai pas aux 24 Heures de Spa sur la Yamaha n°36 du 3ART Best of Bike, c’est certain. Et pour la suite... tu sais, à mon âge, ma priorité c’est de me retaper correctement. J’ai tellement roulé en étant cassé, ça va ! À la rigueur, on me filerait de la thune pour être présent au Bol d’Or, pourquoi pas. Mais avant cela, il faudrait demander de mes nouvelles, savoir comment je vais et ensuite songer à me remplacer.
MNC : Tu as pu suivre les courses du Tourist Trophy 2023 ? Qu’est-ce qui t’as le plus impressionné ?
M. L. : Oui bien sûr que j’ai regardé les courses. À vrai dire, je n’avais plus que ça à faire (rires). Je ne suis pas impressionné, mais encore plus respectueux de ces mecs qui se donnent. Quand tu connais le tracé par coeur et que tu peux poser ton pilotage, ça doit être un put*** de kiff ! C’est ça que je leur envie, en fait.
MNC : Tu te projettes déjà sur 2024 ?
M. L. : Non pas encore. Mais si j’y retourne, ce sera forcément avec Optimark. Je sais maintenant à quoi m’attendre, comment me préparer, et je l’aborderai d’une manière différente.
MNC : Tu seras encore plus sage ?!
M. L. : Bah plus sage, ça ne veut plus rien dire... Mais je sais quoi faire.
MNC : On te laisse te reposer, prends soin de toi et profite de tes proches. Merci !
M. L. : Ça va aller, merci.
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