Au-delà de l'opération de communication, le livre du journaliste Manuel Marsetti publié pour les 20 ans de la Mutuelle, Chronique d'une utopie en marche, est un excellent ouvrage sur l'histoire récente de la moto en France.
A la fin des années 70, dans une France encore toute engourdie de giscardisme, "le blouson noir présente le double avantage d’effrayer le bourgeois et de supporter le cambouis", écrit Manuel Marsetti, 31 ans, paraphrasant Renaud (Pourquoi d’abord, album Marche à l’ombre, 1980)...
Bon nombre d’entre nous avalent encore sagement leur goûter devant Goldorak lorsque se préparent, dans l’ombre, les plus grands combats politiques de l’histoire française de la moto : la vignette bien sûr, qui mettra le feu aux poudres quelques années plus tard, mais aussi la réforme du permis, le manque de circuits, les tarifs autoroutiers, l’inadaptation des infrastructures et surtout l’augmentation ahurissante des primes d’assurance, qui peuvent atteindre 10 ou 12 000 francs - plus de cinq mois de SMIC ! - pour aboutir le plus souvent à une indemnisation à peine correcte en cas de carton.
"Deux choix s’offrent aux révoltés, résume l’auteur : retourner aux marges d’un monde qu’ils n’observaient jusque-là qu’à travers la visière de leur casque, ou passer, dans la rue, du statut d’usagers à celui de citoyens". Et alors que de nombreux motards, plutôt que de renoncer à la moto, décident de rouler sans assurance, une idée complètement folle commence à circuler : créer une assurance indépendante. Le 23 octobre 1981 à la Bastille, la FFMC lance officiellement sa première souscription. Deux ans plus tard, au terme d’une course contre la montre qui semblait perdue d’avance, 10 millions de francs sont réunis. Le 15 septembre 1983, le gouvernement délivre son agrément à la Solidarité mutuelle des usagers de la route (SMUR), devenue Assurance mutuelle des motards le 19 mai 1991, qui assure aujourd’hui 160 000 sociétaires avec 300 salariés.
C’est toute cette histoire mouvementée, sur fond d’actualité politique et sociale chargée, d’apprentissage du marché et de rivalités personnelles, que retrace Chronique d’une utopie en marche. "Je n’ai subi aucune pression d’aucune sorte, jure Manuel Marsetti. Cela faisait partie du pacte de départ scellé avec Patrick Jacquot, le patron de la Mutuelle : ne pas faire de la communication, mais un véritable travail d’enquête. J’ai eu carte blanche pour traiter tous les sujets et interroger tous les acteurs".
Alors que le contrôle de leur image est le principal souci de toutes les grandes entreprises modernes, cette déclaration sur l’honneur a de quoi surprendre... "Je sais que ça paraît invraisemblable, reconnaît le journaliste, qui a pu mesurer l’opacité des grosses boîtes lorsqu’il travaillait pour L’Usine nouvelle ou La Tribune, mais nous avons vraiment travaillé dans la plus grande transparence des deux côtés. La Mutuelle arrive aujourd’hui à maturité, au terme d’une histoire chaotique qui est avant tout une aventure humaine. Et bien sûr, comme dans toute aventure humaine, il y a forcément eu des morts... au sens figuré bien sûr !".
"Nous avons choisi de confier ce travail à Manuel parce qu’il ne faisait pas partie du sérail et que nous voulions un regard neuf sur notre histoire", renchérit Patrick Jacquot: "On s’était interdit une quelconque censure sur son travail. Il n’y a pas eu de relecture au sein du conseil d’administration. Seules deux personnes ont relu, mais c’était uniquement pour vérifier le bon déroulé des faits".
Depuis la mort de Carole Lefol le 23 septembre 1977 à Rungis, qui donnera son nom au circuit parisien, jusqu’à l’avènement de la trilogie Mutuelle-FFMC-Motomag, en passant par la création de l’Association des motards indépendants, l’enlèvement de Giscard au Musée Grévin, l’opération commando d’exfiltration menée en Corse pour transférer clandestinement le siège de la Mutuelle, les premières difficultés financières, la délicate structuration démocratique du mouvement motard ou les premières victoires du GMT 94, c’est également tout un pan de l’histoire récente de la moto en France que relate Manuel Marsetti, nombreuses photos à l’appui, au terme d’un impressionnant travail de documentation. Et c’est justement là son intérêt.
"Mais pourquoi, d’abord, est-ce que les bourgeois, y faut leur faire peur ? Si y seraient vraiment dangereux, c’est nous qu’auraient peur d’eux", ironisait Renaud en 1980... Réponse dans 20 ans ?
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