Deuxième sur MV Agusta en 2016, troisième sur Honda en 2017 : Jules Cluzel est l'un des meilleurs pilotes de Supersport au monde ! Passé cette année sur Yamaha, notre "Coq Supersportif" est toujours en mesure de décrocher son premier titre, mais la saison 2018 n'a pas été simple... Interview.
Le n°16 en Supersport ? Un sacré numéro, sacré deux fois même, avec Sébastien Charpentier en 2005 et 2006 sur Honda Ten Kate. Depuis 2012, c'est un autre français qui le porte... mais avec moins de réussite : Jules Cluzel est pourtant sans conteste l'un des meilleurs pilotes de l'histoire du championnat, mais il n'a pas remporté de titre. Pas encore !
En cinq participations, le natif de Montluçon (03) a terminé trois fois vice-champion du monde. En 2015 notamment, une sale chute en fin de saison l'avait empêché d'accomplir son rêve... Le grand patron de MV Agusta, pour qui "Julo" courait alors, l'aurait volontiers étripé... Mais il y a eu encore plus rageant depuis !
Au tout début de la saison dernière, une attaque du bouillant Caricasulo puis une panne de sa moto lui avaient - sans doute - coûté la victoire finale... Finalement troisième du classement 2017, Jules venait toutefois de réaliser l'une de ses meilleures saisons.
En montant cette année sur une Yamaha, Cluzel espérait enfin être en mesure de battre son meilleur ennemi Kenan Sofuoglu (cinq fois champion !), son compatriote Lucas Mahias titré en 2017 sur la R6 officielle justement... et conjurer le mauvais sort !
Malgré un manque flagrant de roulage sur sa moto et - donc ?! - une chute en Thaïlande, Jules ne se trouvait qu'à cinq petits points de la tête du provisoire avant la reprise du championnat cet été au Portugal. Hélas, seize fois hélas, il a de nouveau manqué de chance à Portimao...
Fauché en début de course par le leader Cortese - alors qu'il se battait contre Mahias pour la première place... -, Jules n'a pas marqué le moindre point au Portugal. Il compte aujourd'hui 16 points de retard, à la veille de l'épreuve française de Magny-Cours ce week-end... Moto-Net.Com s'est entretenu avec notre cher n°16 pour prendre des nouvelles...
Moto-Net.Com : Salut Jules, comment ça va ?
Jules Cluzel : Ca va bien et toi ?
MNC : Très bien merci ! Tu es où ?
J. C. : Sur la route, je pars pour Magny-Cours. Je suis dans la campagne, ça risque de couper... Je m'arrêterai si besoin.
MNC : On va faire au mieux... comme toi cette saison ! Ça n'a pas l'air simple, mon pauvre ! Cet été sur Facebook, tu postais un "Never give up" alors que tu n'étais pas certain de rouler à Portimao. Finalement tu étais présent, mais dans quelles conditions ?
J. C. : (Soupir)... Les conditions étaient plus ou moins normales. Suffisamment bonnes en tout cas pour que ça ne m'affecte pas en tant que pilote. On va dire que c'était le côté positif. Sur toute l'année d'ailleurs : l'équipe a surmonté pas mal de difficultés, mais ça ne s'est pas vu d'un point de vue sportif. J'arrive à rester assez concentré, à faire mon boulot.
MNC : Tu vas pouvoir finir la saison ?
J. C. : Oui, j'espère !
MNC : Tu n'es pas sûr à 100% ?
J. C. : Bah, dans la vie en général déjà, on ne peut jamais être sûr de rien. Et on l'est encore moins dans notre milieu. Honnêtement, je ne sais pas. Ce que je sais en revanche, c'est que mon manager Eric (Mahé, NDLR) s'occupe de tout et il s'assure avant tout de ma sécurité. Au final, je suis plutôt content : ma moto est là, je me fais plaisir, je profite !
MNC : On va tout reprendre dans l'ordre, si tu veux bien... L'an dernier, tu étais de retour chez Honda PTR. Tu n'as pas remporté de victoire, mais tu es monté sur sept podiums et tu as terminé 3ème du championnat 2017. C'était satisfaisant ?
J. C. : Oui, c'était une bonne saison, j'étais plutôt content. OK je n'ai pas remporté de victoire, mais j'en étais proche à plusieurs reprises. Ma moto était un peu vieillissante, le team n'avait pas trop fait de résultat depuis un petit moment. Malgré cela, on a réussi à se montrer régulier sur chaque séance et chaque épreuve. Je n'ai commis aucune faute. Mes deux résultats blancs en début de saison n'étaient pas dus à des erreurs... Caricasulo me percute à Phillip Island alors que je me bagarre pour la victoire jusque dans le dernier tour : fracture du sacrum ! Deuxième course (en Thaïlande, NDLR), pareil : j'étais en tête malgré la douleur, j'allais gagner et je suis victime d'un problème technique ! Du coup, on a commencé de très loin la campagne européenne, mais finalement on est revenu. J'étais content car c'était une saison solide de ma part.
MNC : Pourquoi ne pas avoir conservé le guidon de la CBR600RR ? Elle est vieillissante comme tu dis, mais efficace !
J. C. : En raison de la belle proposition qui me plaisait bien, sur une Yamaha, avec un bon moteur. J'avais envie d'essayer, tout simplement.
MNC : Justement, comment as-tu intégré le nouveau team NRT ?
J. C. : Ils ont directement contacté Eric. Je ne prends pas contact avec les équipes.
MNC : Le début de saison 2018 a été compliqué, sur une moto que tu n'avais jamais testée ?
J. C. : Oui, c'est ça qui était compliqué. Pas de test en hiver comme tu viens de le dire. Je suis monté pour la première fois sur la moto en Australie, pour les essais officiels. Là on a pris mesure du boulot à accomplir : nouvelle équipe, nouvelles personnes qui n'avaient jamais travaillé ensemble...
MNC : Tu ne connaissais aucun membre du team, aucun mécano ?
J. C. : Non, non ! Enfin, j'en connaissais certains de nom, mais je n'avais jamais travaillé avec eux.
MNC : La moto aussi était nouvelle pour vous...
J. C. : Oui, d'ailleurs on s'est rendu compte que certains choix au niveau du matériel, qui avaient été faits en amont, avaient besoin de développement, donc de temps. C'est à partir de la troisième course, à Aragon, que nous avons commencé à être solides.
MNC : Vous aviez besoin de roulage, tout simplement.
J. C. : Exactement. Le problème en Supersport et Superbike, c'est qu'on ne roule pas. Quoiqu'en SBK ils ont deux courses, avec quelques essais avant et pendant la saison. Cet été par exemple, je n'ai pas roulé, je n'ai pas fait un seul tour avec une moto. Un amateur roule plus que moi !
MNC : (rires)
J. C. : Nan mais c'est vrai ! Les gens pensent qu'on roule plus qu'eux et que c'est grâce à ça qu'on roule vite, mais c'est faux.
MNC : Le boss de ton team, Vafi Khan, avouait en fin d'année dernière avoir eu du mal à attirer les sponsors. Sur le site officiel, la page des sponsors affiche toujours "coming soon"... Tes excellents résultats n'ont pas permis de signer un sponsor titre en cours de saison ?
J. C. : Je vais être honnête, je ne m'occupe pas de ça car ce n'est pas mon métier. Je fais mon travail de pilote, donc je n'ai pas de réponse à t'apporter. On n'a pas de sponsor, à qui la faute ? Je ne sais pas, désolé !
MNC : Pas de souci, parlons sport plutôt. Tu es le seul pilote à avoir remporté trois victoires cette saison à Assen, Imola et Brno. Tu es très performant à Magny-Cours et Losail... c'est encourageant pour la fin de saison !
J. C. : Oui, je suis content d'arriver en France et de partir au Qatar. D'une manière générale de toute façon, je suis content de rouler. Je me suis rendu compte - il y a quelque temps déjà et ça se confirme - qu'on avait beaucoup de chance de faire ce boulot. Et j'espère continuer le plus longtemps possible ! J'attaque la fin de saison bien concentré, j'ai envie de me faire plaisir. Je suis content d'aller sur ces deux circuits car j'y ai obtenu de bons résultats par le passé, mais il faut savoir que chaque année on remet les compteurs à zéro. Ce n'est pas parce que tu as été bon l'an passé que tu le seras automatiquement cette saison.
MNC : Tu t'es renseigné sur Villicum, le nouveau circuit argentin ?
J. C. : Je fais partie de la "Safety Commission", donc j'ai effectivement eu des échos. Le circuit est tout juste terminé. Ca sera sûrement un beau circuit. La grande interrogation, c'est le revêtement : le bitume vient tout juste d'être posé, personne n'aura roulé dessus avant nous. Étant donné la chaleur annoncée, environ 30°C, ça risque d'être une patinoire, tout simplement. Ca pourrait être un peu folklorique ! Au niveau du tracé, j'ai vu des virages, ça a l'air rapide... J'ai hâte car j'aime bien les nouveaux circuits, ça ne me dérange pas, bien au contraire.
MNC : À cause de la bourde de Cortese à Portimao, tu es passé de 5 à 16 points de la tête du classement (occupée par le même Cortese...). C'est loin d'être insurmontable, pourtant tu dis ne pas penser au championnat. Tu préfères jouer la gagne course après course ?
J. C. : Comme ce n'est pas une erreur de ma part, mon état d'esprit reste bon. L'essentiel est de rester concentré, comme en début de saison, quand tu essaies de faire de ton mieux sans commettre d'erreur. Se faire plaisir, évacuer le stress inutile même si il est omniprésent avant les courses (rires). J'ai surtout pas envie de me prendre la tête en fait, et j'aimerais que la réussite tourne car ça commence à être compliqué.
MNC : C'est vrai qu'une fois encore, t'as pas eu de bol...
J. C. : Bah quand tu vois qu'on est 30 sur la piste, mais que c'est Cortese qui tombe devant moi... À moins de 10 cm, ça passait. Il est reparti pour finir 6ème. Moi, sans tomber, je faisais 2ème ! J'aurais pu prendre un gros paquet de points, 10 ou 11, et inverser la situation au championnat, tout simplement ! Donc ça commence à être un peu pénible, mais par la force des choses, j'ai appris à faire avec. J'ai pas fait d'erreur sur le coup, il n'y a pas grand-chose à retenir... Si ! J'aurais pu essayer de m'échapper plus vite, mais au risque de me mettre à plat ventre. C'est dur à digérer, mais il faut aller de l'avant !
MNC : Ce qu'on retient cette saison, c'est que la R6 est l'arme ultime pour gagner le championnat, non ?
J. C. : Je pense que oui, mais je te jure que j'ai la sensation de n'être qu'à 50% sur cette moto. Je dis ça depuis le début de l'année, mais c'est dû à l'absence de test et au peu de roulage. Le vendredi on a deux fois 50 minutes : le matin tu te mets dans le rythme et tu tâtes la température du week-end, l'après-midi tu commences à vouloir régler la moto mais il faut aussi penser à se placer parmi les dix premiers pour les qualifications. Le samedi, on a 20 minutes à 9h du matin, donc il ne fait pas chaud, et ensuite c'est 15 minutes de qualif, donc tu ne prends pas beaucoup de risques en termes de réglages. Le dimanche c'est warm-up pendant un quart d'heure et course. Donc au final c'est assez frustrant, surtout qu'on aurait pas mal de trucs à tenter.
MNC : Quels sont les atouts de la Yamaha ? Quels progrès sont encore possibles ?
J. C. : Je suis assez satisfait du moteur. C'est au niveau châssis que j'ai du mal : j'ai beaucoup de glisse. Je n'ai plus de difficultés à transmettre la puissance au sol avec cette moto.
MNC : Tu as plus de mal que tes camarades sur R6, ou par rapport à tes précédentes motos ?
J. C. : C'est surtout par rapport à la Honda.
MNC : Le Supersport est devenu une coupe Yamaha, avec cinq R6 dans le Top 6 mondial. C'est dommage, non ?
J. C. : C'est pas vraiment à moi de le dire. Je ne suis pas promoteur, ni constructeur. Ce que je veux en priorité, c'est rouler dans une bonne équipe le plus longtemps possible et continuer de rouler le plus longtemps possible. J'espère évidemment que le championnat va continuer, et progresser. Car le World Supersport est un beau championnat ! Le Superbike, il faut dire la vérité, c'est un peu triste en ce moment. Même comparé au Moto2, je trouve le Supersport plus beau, il y a de la bagarre : on a été sept à se battre pour le podium cette saison. C'est dommage qu'on ne soit pas plus reconnu que ça, et médiatisé.
MNC : Je ne te cache pas que chez Moto-Net.Com, on a songé à arrêter de suivre cette catégorie, faute d'audimat et de retours... Mais avec Mahias champion, le GMT94 de retour, et toi bien sûr qui joue le titre chaque année, on a décidé de continuer...
J. C. : Bravo ! C'est une catégorie qui vaut le coup. Et c'est vrai qu'il y a souvent eu de bons pilotes français en Supersport.
MNC : Il y avait aussi un bon pilote turc en World Supersport. Mais Sofuoglu a tiré sa révérence en cours de saison. Tu restes en contact avec lui ? Sur la piste, vous n'hésitiez pas à jouer des carénages. Mais vos mésaventures aussi vous ont rapprochés...
J. C. : On se croise encore, on s'est vu à Portimao. C'est quelqu'un pour qui j'ai beaucoup de respect et c'est réciproque. J'ai toujours apprécié me battre avec lui, donc ça fait forcément quelque chose de le voir partir. Il nous manque, mais il fallait bien que ça arrive...
MNC : Kenan s'occupe maintenant de Toprak Razgatlioglu, grand espoir de Kawasaki en WSBK. C'est toujours dur de se projeter, mais as-tu la même fibre ? Souhaiterais-tu un jour transmettre ton savoir ?
J. C. : Ah oui, ça me plairait ! Ca fait partie de mes plans potentiels pour l'avenir. Ca vient du fait qu'étant jeune, j'ai commis beaucoup d'erreurs dues à mon inexpérience. Il y a certains conseils que j'aurais aimé avoir et que je n'ai pas eus. Donc j'espère pouvoir les donner à un jeune pilote motivé. Mais il faut le trouver, or le milieu est compliqué, il faut des sponsors et de l'argent tout simplement... Pour que ce soit sympa, il faudrait qu'il ait un peu de talent aussi, pour se faire plaisir.
MNC : Cette année, le seul qui se mêle régulièrement aux Yamaha, c'est Raffaele de Rosa sur ton ancienne F3. Mais MV Agusta ne sera plus là l'an prochain... Que penses-tu de leur engagement en Moto2 ?
J. C. : Ouais, je peux comprendre... Le Moto2 sera intéressant l'année prochaine, avec l'arrivée des 3-cylindres Triumph et une nouvelle électronique. Il faut reconnaître que les Grand Prix ont une plus grande portée médiatique. Donc je comprends.
MNC : Une Moto2 avec une plus gros moteur, ça te dirait ?
J. C. : Ouais, ça aurait pu me plaire. Mais je n'y pense pas vraiment. Je préfère me concentrer sur ma fin de saison et sur mon pilotage. Comme je l'ai dit, c'est Eric qui s'occupe de tout le reste. On se connait très bien, il sait mes goûts, mes envies...
MNC : Sans parler de ta saison prochaine, on peut évoquer le futur règlement ? Que penses-tu de l'ECU unique en Supersport ?
J. C. : Pour être tout à fait franc, je ne sais pas grand chose sur la question (rires). Je ne suis pas super calé niveau technique. Ce que je peux dire en revanche, c'est que c'est dommage de brider l'électronique. Déjà d'un point de vue sécurité, rien que ça. Pour le développement des motos ensuite, les constructeurs trouvaient un intérêt supplémentaire à courir. Et en termes de pilotage, c'était une donnée de plus à gérer, c'était plus fin et assez fun. J'aimais bien mettre la poignée dans le coin et faire en sorte que la puissance soit gérée du mieux possible. J'étais plutôt pour, je faisais confiance. C'est dommage de devoir gérer à la poignée, ça ne fait pas plus de glisses, ce n'est pas vrai. C'est même frustrant sur une 600.
MNC : L'électronique faisait partie du boulot, ça te plaisait de bosser dessus ?
J. C. : Ouais, c'était cool. Et ça ne coûtait pas cher aux teams, ça n'est pas vrai non plus... en Supersport en tout cas, je ne parle pas des autres catégories. Le système était assez basique.
MNC : Merci Jules, on te laisse reprendre la route pour un beau week-end à domicile et une belle fin de saison !
J. C. : Merci à toi !
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