Lâchée fin 2013 dans la jungle des roadsters sportifs, la 1290 Super Duke R leur fait plier l'échine avec son monstrueux bicylindre de 180 ch. Mais toutes ses proies veulent la peau de la "Bête" : raison pour laquelle la KTM revient au sommet de sa forme pour 2020 ! Essai sur les routes et le circuit de Portimao (Portugal).
La dernière rencontre du Journal moto du Net avec la 1290 Super Duke R - surnommée "The Beast" (la Bête) - remonte à 2015 lors d'un événement dédié à la famille Duke en Thaïlande. MNC l'avait alors dégustée dans son jus d'orangeigine avant de savourer sa version "Race Kit" gavée de 12 chevaux supplémentaires. Soit un total de 192 bonnes raisons d'avoir peur !
Ses relatives bonnes manières nous avaient finalement surpris : position de conduite agréable, compromis de suspension idéalement dosé et surtout un moteur à la violence contenue malgré sa puissance bestiale. Un bref galop d'essai sur son évolution de 2017 - amputée de 3 ch avec Euro4 - nous avait convaincu que la Bête n'est pas méchante, car la Bête est disciplinée !
Mais la grogne de ses rivales - au sens propre comme au figuré - oblige KTM à réviser ce subtil équilibre : la troisième génération de 1290 Super Duke R s'affûte à tous les niveaux pour gagner en performances (179,5 ch et 140 Nm), perdre du poids (-6 kg, pour 189 kg à sec) et booster son dynamisme via de nouvelles suspensions et une électronique dernier-cri (détails en page 2).
Visuellement, la moto conserve sa silhouette compacte composée d'un avant râblé et d'un arrière surélevé. La double optique à LED reprend cet intimidant aspect "insectoïde" désormais commun à une large partie de la gamme. Elle dissimule par ailleurs une inédite entrée d'air et le tout est surmonté d'un écran TFT couleurs 5 pouces à la fois complet et lisible, en plus d'être commandé au guidon.
En matière de style, la 1290 Super Duke R est fidèle aux habitudes du designer "maison" Kiska : lignes ébauchées à la serpe puis affinées à l'équerre. L'ensemble, douloureusement pointu, est à l'opposé des rondeurs sensuelles prêtées aux motos latines. La Bête taille dans le vif sans pour autant négliger l'essentiel : la finition est excellente, les passages de câbles et durits sont discrets et les belles pièces sont légion.
A commencer par le guidon : cet élément large (760 mm) et plat réalisé avec soin à Mattighofen (Autriche) a le bon goût d'être réglable d'avant en arrière sur quatre positions sur une amplitude de 21 mm. Il se termine par des leviers ajustables en écartement et prodigue un contrôle intuitif du train avant, par ailleurs neutre et précis.
Autres bonnes surprises : les commodos rétro-éclairés (ça devrait être obligatoire !), le démarrage sans clé - avec télécommande transpondeur -, les valves coudées, la précharge d'amortisseur ajustable depuis une molette déportée sur la droite et le coffre suffisamment profond pour loger un bloque-disque et un gilet jaune. Autant d'attentions rares sur ce genre de motos mais pourtant bienvenues !
La "Bête" se serait-elle civilisée ? Pas vraiment : c'est même l'inverse ! L'ergonomie se radicalise avec un guidon certes accessible mais à condition de pencher le buste. Le reste est à l'avenant : du réservoir affiné à l'entrejambe aux repose-pieds assez reculés en passant par la selle haut perchée à 835 mm (un pied à plat et une pointe au sol pour un pilote d'1,75 m). Tout concourt une position davantage portée sur l'avant.
Sur circuit, cette approche plus sportive fait mouche : découverte sur l'exigeant tracé de Portimao (Portugal), la 1290 Super Duke R 2020 s'y révèle diaboliquement efficace en plus d'être sacrément amusante. Pensez donc : un roadster aussi rigoureux que facile à manier avec un moteur "gros comme ça", sur ce circuit vallonné et technique, ça donne des trajectoires au cordeau et des sorties de courbes roue avant levée !
Un exemple ? Le dernier double droit qui conditionne la ligne droite des stands : l'entrée en aveugle se négocie à 160 km/h avant de plonger dans une longue cuvette en accélérant fortement plein angle. Sur la KTM, la confiance dans le train avant est totale, la motricité exemplaire et la rigueur supplémentaire du châssis annihile tout mouvements parasites. Stupéfiant au regard des contraintes et de la vitesse !
Rivée au sol, la Super Duke R jaillit de ce virage à 190 km/h en 4ème avec une sacrée dose d'énergie à revendre : la poussée du twin est telle que l'avant déleste encore au passage de la 5ème sur un dénivelé. Une pression sur le shifter en option - rapide mais un peu accrocheur à la descente - enclenche la 6ème qui nous emmène à 269 km/h, le casque ballotté par les remous faute de la moindre protection. Mazette, ça arrache !
Le gros freinage qui suit délivre deux informations capitales : d'une part, les nouveaux étriers radiaux Brembo Stylema sont bigrement puissants et dosables, surtout associés comme ici à un maître-cylindre de qualité et des durits avia. La force de la décélération évoque un Rafale à l'appontage sur le Charle-de-Gaulles, sans aucune intervention intrusive de l'ABS sensible à l'angle.
D'autre part, la 1290 Super Duke R reste parfaitement en ligne et stable pendant toute la phase de freinage avant d'accepter de plonger vers la droite sans avoir à la brutaliser. L'assiette ne bascule pas excessivement sur l'avant grâce au maintien offert par la nouvelle fourche "Apex" : un comportement digne d'une Superbike !
Ses placements sur l'angle sont chirurgicaux mais l'association de son grand guidon et de son empattement court (1497 mm) exigent du doigté et de rester "léger" sur sa direction, surtout à la réaccélération qui n'est jamais triste sur cette moto ! On apprécie alors de pouvoir facilement se mouvoir et consolider ses appuis sur les cuisses et les cale-pieds, grâce à sa selle et son réservoir redessinés.
A condition de respecter ce mode d'emploi logique pour un roadster, déguster cette Orange "surpressée" sur circuit est un véritable délice ! Sans compter que sa garde au sol conséquente autorise toutes les fantaisies. Mais sur route en revanche, les saveurs s'avèrent plus amères…
C'est effectivement au détriment de l'agrément que la 1290 Super Duke R a progressé : le confort pâtit des nouvelles contraintes de sa position - moins détendue qu'en 2019 - et de son amortissement vraiment ferme. Ses suspensions WP (marque KTM) excellent sur le revêtement lisse d'un circuit, mais pas sur le bitume souvent frippé du réseau secondaire.
La faute à un inconfortable manque de progressivité en début de course : la fourche comme le mono-amortisseur réagissent vivement au moindre impact, comme dépourvus de course morte. Leurs réactions d'une extrême sensibilité manquent tout bonnement... d'amortissement ! Et ce n'est pas sa selle ferme qui compensera cette absence de ouaté.
Sur le bitume parfaitement lisse d'un circuit, ce n'est pas un problème. Mais sur les imperfections d'une route départementale, l'affaire se corse : les bosses tendent à perturber sa stabilité avant de se répercuter directement dans le bas du dos. La "Bête" gesticule au point d'impressionner et de fatiguer son "dompteur"...
Dommage, car ses suspensions offrent ensuite un comportement satisfaisant après avoir passé ce premier stade nommé "l'attaque" : certes, la moto remue, mais elle ne dévie pas de sa trajectoire. Sa motricité reste par ailleurs excellente malgré les assauts du bicylindre, preuve en est du bon travail de l'amortisseur.
Son moteur, justement, reste l'argument massu de la 1290 Super Duke R : un incroyable monument de puissance et de couple ! De prime abord, ce bloc de 1301 cc est un monstre : sa sonorité gutturale impose le respect, son levier d'embrayage dur martyrise le poignet gauche et ses dégagements de chaleur sont torrides.
Son rendement spectaculaire est par ailleurs à l'origine d'un déferlement de puissance et de sensations hors du commun entre 3500 et 9500 tr/mn (rupteur à 10 500 tr/mn). La moindre rotation du sensible accélérateur électronique convoque immédiatement une vague de couple gargantuesque, dont l'intensité semble ne jamais faiblir.
Ce V-twin dérivé de feu la RC8 donne la sensation d'avoir affaire à un géant doté d'une force herculéenne, qui vous propulse joyeusement en avant sans le moindre temps mort. L'absence d'inertie de cet énorme moteur dans ses prises de régimes est tout bonnement renversante !
Mais aussi intimidant soit-il, ce "monstre d'acier" n'est pas d'une bestialité sauvage : sa colossale poussée intervient de manière prévisible, sans agressivité ni pic de violence. La KTM arrache les bras et fait écarquiller les yeux, certes, mais de façon suffisamment "civilisée" pour ne pas finir dans le décor à la moindre approximation !
Cette domestication de la "Bête" s'appuie notamment sur une excellente connexion entre l'accélérateur et la roue arrière, surtout avec le mode "Street" activé par défaut. MNC l'a préféré au mode optionnel "Track" (+ 344 €), plus brutal dans sa gestion des remises de gaz et du frein moteur (détails de l'électronique en page 2).
L'occasion aussi de saluer les progrès accomplis en matière de souplesse : le twin reprend sans sourciller entre 2000 et 2500 tr/mn sur les premiers rapports, quand le précédent modèle pêchait par sa rugosité et son manque d'élasticité à bas régimes. Là aussi, c'est un sacré tour de force avec une pareille mécanique !
En revanche, des vibrations agacent les pieds à 4000 tr/mn et les mains à 6000 tr/mn. Entre 7 et 8000 tr/mn, les dents mal chaussées commencent même à tomber ! Et MNC l'a vérifié en duo : le passager n'est pas mieux loti, en plus de n'avoir accès à aucune poignée et d'être assis sur une selle étroite, en légère pente et aussi dure qu'exagérément haute.
Avec un slogan comme "Ready to Race" (prêt à courir), KTM ne peut évidemment pas rester les deux pieds dans le même sabot face à la concurrence : Aprilia Tuono V4, Ducati Streetfigher V4 et autres Kawasaki Z H2 et Yamaha MT-10 (voir liste ci-dessous) "reniflent" la "Bête" de trop près pour rester passif en Autriche...
L'évolution de la 1290 Super Duke R vers davantage de radicalité est donc aussi prévisible que logique : la "Bête" est prise à son propre piège des performances "XXL" et de la fiche technique de tous les superlatifs. En cela également, le roadster KTM n'a jamais été plus proche d'une Superbike : condamnée au "toujours plus"... sous peine de disparaître.
Mais cette course à l'armement a un prix : 18 199 euros contre 16 999 en 2019 ! Et si cette coquette inflation se justifie technologiquement (hormis le cas du shifter en option), c'est plus discutable en ce qui concerne la perte de polyvalence et d'agrément. Car en définitive, le terrain de chasse de la Bête reste la rue et non pas le circuit, où elle galope effectivement plus vite en 2020 !
Les motos concurrentes de la 1290 Super Duke R 2020
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CONDITIONS ET PARCOURS | ||
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POINTS FORTS KTM 1290 SUPER DUKE R | ||
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POINTS FAIBLES KTM 1290 SUPER DUKE R | ||
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