La saison de World Supersport 2016 s'annonce palpitante en raison du changement de règlement et des nombreux pilotes qui prétendent à la victoire. Pour saisir les tenants et aboutissants du WSSP 2016, Moto-Net.Com a interrogé Jules Cluzel. Interview.
Moto-Net.Com : Première question, évidente mais capitale, comment vas-tu ? Comment va ta jambe ?
Jules Cluzel : Ca va bien, je fais encore une semaine de rééducation intensive à Girona (Espagne). On force sur la cheville environ 8 heures par jour, entre kiné et salle de sport. Ce n'est pas une partie de plaisir, mais c'est nécessaire pour essayer d'être de retour sur la moto à 100% le plus vite possible.
MNC : Tu seras d'attaque pour la première course programmée fin février en Australie ?
J. C. : J'espère. Je pense que oui, en tout cas on fait tout pour. Je veux pouvoir reprendre mon entraînement le plus tôt possible et être prêt pour les premiers essais qui sont prévus en janvier. J'ai repris le sport depuis quelques semaines, mais je n'ai pas repris mon rythme normal. Je passe encore beaucoup, beaucoup de temps sur la récupération de ma blessure. J'aurais bien aimé faire un peu de cross et de moto cet hiver, mais je vais éviter le temps que tout se consolide à 100%.
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MNC : La FIM et la Dorna ont annoncé que les préparations des motos de World Supersport seront limitées à partir de la saison prochaine. Que sais-tu des principaux changements ?
J. C. : Le principal changement concerne l'électronique, qui devra être standard. Nous n'aurons plus de traction control. Autrement, il me semble qu'il n'y aura pas beaucoup de différences en termes de partie cycle et de moteur.
MNC : À ton avis, quelles conséquences auront ces modifications sur le comportement et les performances de ta MV Agusta F3 ?
J. C. : On ne sait pas encore vraiment, il est trop tôt pour dire. Nous avons fait des tests en configuration 2016 et ça s'est passé moyennement car on manquait un peu de mise au point. Je pense qu'une fois la moto réglée, l'écart sera minime. Sofuoglu et Jacobsen ont fait des essais à Jerez aussi, mais je crois qu'ils n'étaient pas en nouvelle configuration. Il faudra surtout attendre les essais de la première course à Phillip Island.
Mais ce qu'on va ressentir au guidon, c'est l'absence du contrôle de traction. Il nous aidait bien sur une durée de course et dans des conditions piégeuses. Du coup, il va se passer beaucoup plus de choses qu'avant. Va falloir faire avec (ou plutôt sans, NDLR !) et ça risque d'être compliqué... Personnellement, je ne suis pas hyper satisfait parce que je pense que ça va à l'encontre de notre sécurité. Mais ce sera plus spectaculaire, et c'est ce que les gens aiment aussi.
MNC : Penses-tu devoir adapter ton pilotage, notamment en termes de gestion des gaz ?
J. C. : J'avoue que j'appréciais le traction control. C'est une assistance qui allait bien avec mon style. Maintenant, j'ai réussi à rouler sans aux derniers essais alors que je n'avais vraiment pas le droit à l'erreur. Je me suis adapté. D'une manière générale je m'adapte rapidement et je n'ai pas peur.
MNC : Le département course de MV Agusta va s'appuyer sur la structure Forward Racing à partir de 2016. Est-ce que ton équipe va changer ?
J. C. : Non, ça ne changera pas grand-chose pour moi car je garde globalement la même équipe. Je conserve mon chef mécano surtout, ce qui est très important car ce sera notre troisième année ensemble !
MNC : Parlons maintenant de tes adversaires... Pour la quatrième fois, Kenan Sofuoglu est le "numéro un" de la catégorie. Comment expliques-tu sa domination en WSSP ? Pourquoi n'a t-il pas percé en Superbike et en Moto2 ?
J. C. : Je ne suis pas d'accord, les gens considèrent qu'il n'a pas percé en Moto2. D'accord, il n'est pas devenu champion du monde, mais je me rappelle qu'il a tout de suite été devant lors de ses deux piges en toute fin de championnat en 2010. Il était en bagarre pour le podium ! On attendait beaucoup de lui l'année suivante, mais je pense qu'il a eu pas mal de soucis familiaux qui l'ont freiné. Il a tout de même fait des courses en bagarre pour le podium, il en a même fait un (deuxième au GP des Pays-Bas 2011, NDLR). Kenan est un super pilote, rapide et difficile en bagarre. Il n'a pas confirmé en Moto2, il aurait pu retenter sa chance mais il a préféré réintégrer le Supersport. Je me bats contre un pilote qui aurait pu régulièrement être sur le podium en Moto2. Je le sais parce que comme lui, j'ai roulé dans les deux catégories. Je suis content qu'il soit mon adversaire.
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MNC : Tu n'as pas eu beaucoup de chance en 2015 entre ta blessure et tes pépins mécaniques de début de saison. Lorsqu'il est passé te voir à l'hôpital après la course de Jerez, Kenan a reconnu que tu méritais le titre. Sa visite et ses paroles t'ont touché ?
J. C. : (Rires) Ce n'est pas que j'ai pas eu beaucoup de chance... Je n'en ai pas eu du tout ! C'est vrai qu'on peut provoquer la chance, mais là, je ne pouvais vraiment rien y faire. En ce qui concerne sa visite, c'était vraiment la grosse surprise, je ne m'y attendais pas du tout. Mais il est comme ça, plutôt généreux. Discuter avec lui m'a fait du bien parce qu'à ce moment précis, j'avais limite le moral dans les chaussettes : j'avais beaucoup donné pour remonter au championnat et je n'avais commis aucune erreur avant cette chute. Je pense que Kenan s'est rendu compte de ça, du travail que j'avais accompli, de la malchance que j'ai endurée, et il est venu me le dire. Ca m'a fait du bien d'avoir cette reconnaissance.
MNC : Ton grand rival turc a vécu un drame effroyable avec la perte de son tout jeune fils. Si le pilote est parfois critiquable sur la piste en raison de ses manoeuvres trop musclées, l'homme, lui, force le respect, non ?
J. C. : C'est clair. J'ai toujours beaucoup respecté Kenan. Il ne m'a jamais vraiment fait de crasse... On a effectivement eu quelques passes d'armes compliquées mais humainement, c'est un type bien. Il a malheureusement connu des épreuves très dures dans sa vie. On en a brièvement parlé à l'hôpital, mais ce n'est jamais évident d'aborder ces sujets car on est totalement impuissant. Il y a un grand respect mutuel entre nous, c'est important. L'année prochaine nous roulerons encore dans la même catégorie, et nous allons continuer de nous battre avec coeur !
MNC : Et vous vous ne serez pas seuls ! PJ Jacobsen a effectué une remarquable saison 2015, surtout après son passage chez Honda Core. En 2016, il roulera toujours sur une CBR600RR soutenue par Core, mais préparée par le prestigieux team Ten Kate. Premier pilote américain à avoir gagné une course WSSP, penses-tu qu'il puisse devenir le premier champion ?
J. C. : C'est à voir, avec la nouvelle réglementation. Ce n'est pas l'homme le plus dangereux sur l'ensemble d'une saison mais on ne sait jamais... Comme tu le dis, il a fait une bonne fin de saison. Mais il y a des courses, du type Qatar, où je pensais qu'il gagnerait haut la main avec sa moto qui, il faut l'admettre, marche fort. Au lieu de ça, il me semble qu'il a terminé 5ème (exact, NDLR). Donc finalement je ne sais pas... C'est un pilote qu'il ne faut pas le prendre à la légère, mais ce n'est le seul...
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MNC : Justement, Kyle Smith a remporté la dernière épreuve 2015 au Qatar sur la Honda Ten Kate. Il reste sur CBR lui aussi mais passe chez ton ancien employeur, Simon Buckmaster. Le britannique peut-il viser le titre avec l'équipe PTR l'an prochain ?
J. C. : J'y crois moins. Kyle Smith sera un adversaire sur quelques courses, c'est certain, mais pour le titre il faut encore voir. Je dis ça mais il faut se méfier de tout le monde, ne sous-estimer aucun adversaire ! Je pense d'ailleurs qu'il va y avoir une grosse, grosse bagarre et un gros niveau devant. Il y a cinq ou six autres pilotes sur la liste.
MNC : Certains rouleront d'ailleurs sur des MV Agusta, comme Nico Terol qui t'a remplacé lors des trois dernières courses en 2015 et a visiblement pris goût au WSSP et à la F3, ou Roberto Rolfo qui tente un retour sur la F3 également. Ca doit d'ailleurs être gratifiant pour toi, de voir la MV susciter autant d'intérêt ! Mais c'est aussi à double tranchant...
J. C. : Ah bah c'est sûr que je les fait tous un peu rêver (rires). Il faut dire que la MV est une très bonne machine. Elle est difficile à dompter, mais j'ai un style qui va bien avec. On a vu que Terol a bien roulé avec mais il faut voir comment ça se passera dans une autre équipe.
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MNC : Lorenzo Zanetti sera de nouveau ton coéquipier l'an prochain. Est-ce que vous avez le même retour, les mêmes commentaires sur la moto ? Le développement de la F3 peut-il se faire facilement ?
J. C. : Oui, oui, ca facilite les choses, mais pour être franc, ca ne m'apporte pas grand-chose. C'est plutôt moi qui l'aide, qui le fait progresser, mais tant mieux pour moi. L'an prochain, l'équipe est restructurée, le règlement change aussi malheureusement...
MNC : Kenan Sofuoglu va avoir un nouveau coéquipier : Randy Krummenacher qui arrive, comme toi, du Moto 2. Tu connais ce petit suisse ?
J. C. : Non, pas bien. Je sais qu'il a fait des choses correctes en Moto2 comme être régulièrement dans le Top 10 dans cette catégorie, c'est bien ! En revanche, je ne sais pas ce que valaient sa moto et son équipe. Ca sera un adversaire à surveiller car c'est un très bon pilote, il aura une très bonne machine, et il va vite progresser avec l'aide de Kenan.
MNC : Lucas Mahias est notre deuxième représentant français. Après avoir écrasé le championnat de France SSP en 2014, il a été bridé l'an dernier par son changement d'écurie en cours d'année. En 2016, il disputera la saison complète sur une Yamaha R6 qu'il connaît parfaitement et qui a toujours très bien fonctionné en Mondial. Il va envoyer du gros (landais) !
J. C. : Ce sera un redoutable adversaire, d'autant qu'il a déjà roulé en configuration 2016. Il est déjà prêt et sa machine est vraiment très bonne : dernièrement, la R6 a remporté le titre à chaque fois qu'une bonne équipe l'a engagée ! Lucas est un très bon pilote aussi, qui connaît maintenant tous les circuits.
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MNC : De beaux duels en perspective !
J. C. : J'espère pour la France et les fans, c'est toujours bon de voir deux pilotes français se battre devant.
MNC : Malgré l'échec de la sous-catégorie Evo en WSBK, les organisateurs ont décidé de supprimer le STK600 et de l'intégrer au championnat WSSP. Les jeunes pilotes vont donc se joindre à vous lors des épreuves européennes. Que penses-tu de cette décision ?
J. C. : Je ne sais pas, on verra ce que cela donne ! Cette année, les organisateurs ont tout remis à plat : le Stock, le Supersport, même les horaires (lire MNC du 16 décembre 2015 : la première course SBK dès le samedi). On va avoir de la Superpole, c'est intéressant pour nous, ce sera peut-être même télévisé. Après, perso, je ne sais pas. Il y a des têtes pensantes qui ont réfléchi à tout ça et j'espère que ce sera une bonne chose pour la catégorie. Je pense qu'il va y avoir du spectacle ! On sera une bonne dizaine à se battre pour la victoire, voire le titre de champion du monde, ce qui a rarement été vu en Supersport.
"On sera une bonne dizaine à se battre pour la victoire, voire le titre de champion du monde"
MNC : Le champion du monde WSBK Jonathan Rea fait monter le champion de Supersport anglais Kyle Ride en WSSP l'an prochain. Tu es encore jeune et concentré à 100% sur ta carrière, mais as-tu toi aussi un oeil sur le championnat français ?
J. C. : Oui, j'essaye de regarder mais ce n'est pas évident car j'ai fort à faire pendant la saison.
MNC : Le nouveau règlement Supersport doit permettre aux pilotes des championnats nationaux de participer à leur épreuve de WSBK. Y a-t-il des petits Frenchies à qui tu aimerais attribuer une wildcard pour Magny-Cours 2016 ?
J. C. : Malheureusement non car je n'ai pas assez suivi l'an dernier. Mais j'ai hâte de rouler là-bas avec eux, après avoir loupé l'épreuve française 2015 !
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