L'Union européenne planche actuellement sur le projet de directive qui dessinera le paysage moto pour les 15 ans à venir. Si la suppression de la ''loi des 100 chevaux'' en France ne fait plus guère de mystère, d'autres arbitrages devront avoir lieu...
Loin des rassemblements de motards au son du rock 'n roll ou des 4-cylindres hurlant dans la ligne droite des stands, l'avenir de la moto se joue dans les salons feutrés de Bruxelles et de Strasbourg, où fonctionnaires européens et lobbyistes diplomates s'affrontent à fleurets mouchetés...
Environnement, sécurité... et business
Dans les deux ans qui viennent, les institutions européennes vont ainsi être amenées à se prononcer sur les grands enjeux de la moto de demain. Et si la suppression de la "loi des 100 chevaux" en France ne fait désormais plus de mystère, d'autres dossiers importants devront faire l'objet d'arbitrage entre les préoccupations environnementales et sécuritaires des autorités et les intérêts de l'industrie...
Siège de la Commission européenne à Bruxelles |
Alors que la Commission européenne a rendu ses propositions de nouvelles règles en matière de deux-roues motorisés dans un document intitulé COM (2010) 542, "relatif à la réception et à la surveillance du marché des véhicules à deux ou trois roues et des quadricycles", l'avenir du secteur moto et scooter dans les dix à quinze prochaines années se joue désormais au Conseil européen et au Parlement de Strasbourg, avec la participation active du lobby de l'industrie moto en Europe, l'Association des constructeurs européens de motocycles (ACEM).
S'il est encore trop tôt pour préjuger de l'issue qui sera donnée à cette ébauche de directive européenne, ses principales orientations et sujets de controverses en sont désormais connus.
Les constructeurs "globalement satisfaits"
Sévèrement touchés par la crise dans toute l'Europe (-25% en 2010 par rapport à 2008), les industriels de la moto et du scooter, partie prenante de l'évolution de la législation grâce au lobbying mené par l'ACEM auprès des institutions européennes, soulignent la nécessité d'avoir "une vision stable et à long terme" des chantiers à venir.
Stefan Pierer, PDG de KTM et président de l'ACEM | Gabriele del Torchio, président de Ducati Motor Holding |
"Nous sommes globalement satisfaits des propositions de la Commission, à quelques exceptions près", a déclaré Stefan Pierer, big boss de KTM et président de l'ACEM, lors de sa 7ème conférence annuelle mercredi à Bruxelles, rappelant que "chacun doit jouer le jeu avec les mêmes règles, y compris les acteurs asiatiques".
Reste notamment à s'accorder sur le calendrier des nouvelles mesures. Alors que la Commission souhaite que la plupart soient applicables dès le 1er janvier 2013 (après avoir été adoptées par le Conseil européen et le Parlement de Strasbourg), les constructeurs représentés au sein de l'ACEM demandent un délai supplémentaire d'un an pour pouvoir se préparer correctement.
"La date d'application est incompatible avec les délais minimum nécessaires aux industriels pour implémenter de nouvelles mesures administratives et techniques", souligne l'ACEM qui demande un délai supplémentaire d'au moins douze mois à compter de l'adoption de la proposition. "Il faut environ trois ans pour mener à bien le développement d'un nouveau modèle, donc il faut qu'on connaisse la réglementation", confirme notamment Gabriele del Torchio, le big boss de Ducati.
La fin des "100 chevaux" |
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Suppression de la loi des 100 chevaux
Parmi les principaux enjeux de cette future réglementation, la suppression de la "Loi des 100 chevaux" en France ne fait plus guère de mystère : que ce soit en janvier 2013 ou en janvier 2014, les Etats membres réunis au sein du Conseil européen et les députés du Parlement européen suivront vraisemblablement les recommandations de la Commission visant à supprimer cette possibilité offerte aux Etats membres de limiter la puissance des motos immatriculées sur son territoire. Appliquée seulement par la France, cette option n'a en effet jamais fait ses preuves en termes d'accidentologie et complique singulièrement la tâche des constructeurs.
"L'ACEM se félicite de la suppression de cette option de limitation de puissance, appliquée sans résultats tangibles par un seul Etat membre (la France, NDLR). Cette décision entraîne une simplification logistique et industrielle et se montre cohérente avec les objectifs de l'Union européenne sur le marché unique".
Bref, encore un peu de patience, mais les "100 chevaux" ne seront bientôt plus qu'un mauvais lointain souvenir !
ABS ou CBS obligatoire sur les motos
L'ABS va continuer à se généraliser sur les motos et les scooters de plus de 50 cc, avec un objectif clair de la part de la Commission européenne : ces véhicules devront impérativement être équipés d'un système de freinage avancé dans les quatre ans suivant l'adoption des nouvelles mesures. Soit pour l'instant, si le calendrier prévu par la Commission est respecté, à compter du 1er janvier 2017.
Pour les 125, les constructeurs ont obtenu de pouvoir proposer le CBS (freinage combiné) en alternative à l'ABS (antiblocage des roues), soit l'ABS, soit les deux. Pour les grosses cylindrées en revanche (plus de 125 cc), seul l'ABS sera reconnu comme système de freinage avancé obligatoire.
"L'ACEM se félicite de l'inclusion du CBS comme une alternative à l'ABS pour les 125, car son coût inférieur pour le consommateur en fait une solution efficace", mais les constructeurs demandent désormais un délai supplémentaire d'un an (1er janvier 2018) et une certaine flexibilité dans l'application de cette mesure, notamment pour les motos de trial et d'enduro...
Trial et Enduro
En l'état actuel du texte, la nouvelle législation proposée par la Commission ne concerne pas les motos de trial et d'enduro. Pour éviter qu'ils ne se retrouvent de fait inclus dans les règles communes à l'ensemble des véhicules - ce qui rendrait impossible leur développement en raison de leurs spécificités -, l'ACEM demande leur réintégration dans le dispositif propre aux deux-roues motorisés, avec néanmoins des aménagements liés à leurs particularités comme la non application de l'ABS obligatoire.
Outre ces aspects techniques, la future réglementation européenne prévoit aussi plusieurs modifications sur le plan administratif, qui peuvent être décisives sur le développement du secteur moto dans les prochaines années.
Petites séries et fins de séries
La notion de "petite série" permettait jusqu'à présent de développer des modèles en faibles quantités, en s'affranchissant des normes d'homologation européenne souvent lourdes et coûteuses. Actuellement fixée à 200 exemplaires maximum, la barre risque désormais d'être abaissée à 20 unités, ce qui réduirait considérablement son intérêt pour les petits constructeurs tels que Norton, CCM et bien d'autres...
Or, si la volonté des autorités d'éviter les abus et la circulation d'un trop grand nombre de véhicules non conformes est compréhensible, le risque est énorme pour les petits constructeurs de ne plus pouvoir innover et se développer suffisamment.
Idem pour les véhicules de "fin de série", autorisés à circuler même s'ils ne remplissent pas toutes les obligations vis-à-vis des nouvelles normes : actuellement limités à 100 exemplaires, ils pourraient être abaissés à dix.
Conseil et Parlement européens devront donc concilier leurs préoccupations sécuritaires et environnementales avec les impératifs concurrentiels de l'industrie, pour ne pas risquer de pénaliser la recherche et le développement des petits constructeurs européens... surtout face à de jeunes dragons asiatiques souvent moins scrupuleux !
Le douloureux partage des informations...
Enfin, pour ne pas "verrouiller" le secteur de l'après-vente (entretien, révisions...) et laisser le choix au consommateur final tout en permettant à des acteurs indépendants de prendre leur part de gâteau, la Commission européenne insiste sur la nécessité de partager les informations sur la réparation et la maintenance (RMI).
"Les constructeurs fournissent un accès sans restriction aux informations sur la réparation et l’entretien des véhicules aux opérateurs indépendants par l’intermédiaire de sites web utilisant un format standardisé, d’une manière aisément accessible et rapide", prévoit la Commission. "En particulier, cet accès est accordé de manière non discriminatoire par rapport à l’accès accordé aux concessionnaires et réparateurs officiels".
Jacques Compagne, secrétaire général de l'ACEM | Philippe Jean, directeur de l'Unité industrie automobile à la Commission européenne |
Ce sujet, calqué sur le monde automobile, est particulièrement sensible pour les constructeurs de deux-roues représentés au sein de l'ACEM : s'ils ne s'opposent pas à sa mise en oeuvre, ils demandent des garanties quant à la nature des informations qu'ils devront mettre à disposition... Se posera également le problème de la mise à jour, indispensable pour assurer un accès réel à l'information mais qui demandera un véritable suivi pas forcément compatible avec les ressources des constructeurs.
"Il ne faut pas prendre le risque d'ouvrir la boîte de Pandore", souligne le secrétaire général de l'ACEM Jacques Compagne. "Il faut pourtant que les indépendants puissent avoir accès aux informations de réparation des véhicules, donc il faut partager les données avec eux", rétorque Philippe Jean, responsable de l'Unité automobile au sein de la Commission européenne. "Ensuite, quel type de données, c'est là que ça se complique, comme on l'a vu dans l'automobile. Mais il faut préserver le choix des consommateurs dans les quinze prochaines années ! La Commission devait donc s'emparer de la question et c'est pourquoi nous avons demandé cette obligation, même si on sait que c'est un sujet difficile".
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