Le responsable de la branche deux-roues du CNPA s'insurge contre un projet de décret sur les véhicules endommagés qui se présente comme un contrôle technique moto à peine déguisé... Interview de Luc Forestier et retour sur une procédure complexe.
Suite à une réunion tenue mardi dans les bureaux de la Direction de la sécurité et de la circulation routière (DSCR) à La Défense avec des représentants du gouvernement, de la Fédération française de motocyclisme (FFM), de la Fédération française des motards en colère (FFMC), du Conseil national des professions de l'automobile (CNPA) et des assureurs tels que la Mutuelle des Motards ou la MACIF, Luc Forestier, responsable de la branche deux-roues au CNPA, s'insurge contre un projet de décret qu'il dénonce comme "une nouvelle menace pour les deux-roues avec la présomption de dangerosité. Nous sommes pourtant en France, pas en Corée du Sud ou dans n'importe quelle dictature lointaine !".
Les trois entités représentatives du monde de la moto (FFM, FFMC et CNPA) se réuniront mercredi prochain à Paris pour mettre en place un front commun d'opposition à ce projet, dont Moto-Net.Com s'est procuré une copie et qui se présente comme un retour à peine déguisé du contrôle technique moto... Explications.
Moto-Net.Com : Luc Forestier, quels dangers voyez-vous dans le projet de procédure "Véhicule endommagé" (VE) ?
Luc Forestier, responsable de la Branche 2 Roues du CNPA : J'aimerais tout d'abord faire un bref rappel historique : ce projet de décret, qui serait applicable dans la précipitation au 1er janvier 2009 (soit dans moins de trois semaines !), tente de redéfinir la notion de "véhicule endommagé" (VE) amenée à remplacer la procédure du "Véhicule gravement accidenté" (VGA) en vigueur depuis 1986 et qui excluait de son champ d'application les deux-roues. Fin 1993 a été rajoutée la procédure pour tous les véhicules de "Véhicule économiquement irréparable" (VEI), également connue sous le nom de "Réparation supérieure à la valeur" (RSV). Si le véhicule n'était pas réparable suite à un accident, on bloquait la possibilité de vendre le deux-roues (mais son propriétaire pouvait continuer à rouler avec). En 2005, lorsque le gouvernement a voulu fusionner les deux procédures VGA et VEI dans une nouvelle procédure VGE, le CNPA a demandé à la DSCR qu'en soient exclus les deux-roues motorisés pour une raison très simple : les experts automobiles, qui devaient décider de la procédure à suivre, n'étaient pas formés aux spécificités des deux-roues. Pour nous, la VGE avait donc bel et bien disparu...
Moto-Net.Com : Et elle ressurgit subitement aujourd'hui sous un nouveau nom "VE" ?
Luc Forestier : Exactement ! Lors d'une réunion houleuse hier matin dans les bureaux de la DSCR à la Défense, avec des représentants du CNPA, de la FFM, de la FFMC, de la Mutuelle des Motards, de la MACIF et des experts automobiles, nous avons découvert que le projet de décret sur le Véhicule endommagé (VE) fait peser des menaces extrêmement graves pour les deux-roues motorisés. D'une part, il prévoit que les forces de l'ordre pourront décider librement de s'auto saisir, lors d'une contrôle de routine et en dehors de tout accident, pour prononcer la "présomption de dangerosité" d'un véhicule. D'autre part, les experts pourraient eux aussi s'auto saisir dans le cadre d'une expertise, même pour un dégât. En clair, dans les deux cas, un scooter avec un phare cassé ou une moto avec un pneu un peu lisse pourraient être immédiatement retirés de la circulation !
Moto-Net.Com : Le projet prévoit tout de même des critères justifiant l'immobilisation du véhicule ?
Luc Forestier : Oui il y a une liste de 21 critères pouvant justifier la mise en VE d'un véhicule, mais ils concernent principalement le monde de l'automobile (on parle de ceinture de sécurité, d'airbag, de plancher, etc.) et sont souvent trop imprécis : comment savoir précisément ce que le texte entend par "boîtier de commande", par exemple ?
Moto-Net.Com : Comment le monde de la moto a-t-il réagi ?
Luc Forestier : On a tout de suite réagi pour mettre en place un front commun "anti décret" avec le CNPA, la FFM et la FFMC. Le CNPA demande la sortie des deux-roues motorisés de la procédure VE, ou tout au moins un moratoire de trois ans. D'autant que le projet enlève carrément le seuil de 765 euros qui était auparavant exigé, pour ne pas lancer la procédure de VEI sur un simple phare cassé. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas : le texte permet l'immobilisation d'un véhicule jugé "potentiellement dangereux"...
Moto-Net.Com : Quelles sont vos propositions ?
Luc Forestier : il faut d'abord prendre le temps d'organiser la formation des experts aux spécificités de la moto et du scooter, qui seront tenus civilement et pénalement responsables en fin de procédure lorsqu'ils auront autorisé la remise en circulation d'un véhicule. En outre, nous demandons l'abrogation pure et simple de la possibilité pour les forces de l'ordre de déclarer un véhicule "endommagé" lors d'un simple contrôle, car potentiellement tout véhicule peut être déclaré "dangereux". Je vous rappelle que selon l'étude MAIDS, seuls 0,74% des accidents sont liés à un mauvais entretien du véhicule ! Enfin, nous dénonçons le coût et la lenteur de toute cette procédure (information de la préfecture, notification au titulaire de la carte grise, puis réattribution de la carte grise, etc). Le coût pour chaque procédure a été évalué par un expert de la MACIF à 600 euros : il faudra bien que quelqu'un les paye !
Moto-Net.Com : Que vous a répondu la DSCR ?
Luc Forestier : On nous dit de ne pas nous inquiéter, que la liste des 21 critères concerne surtout l'automobile, et que les forces de l'ordre feront preuve de discernement... Le discernement des forces de l'ordre, on voit bien ce que ça donne en matière de stationnement ! Et cette procédure ne règle en rien les problèmes de trafic d'épaves de deux-roues en France...
Moto-Net.Com : D'après vous quels sont les risques de cette procédure du "Véhicule endommagé" ?
Luc Forestier : C'est très grave, car auparavant la procédure de VEI (ou RSV) ne bloquait que la vente du véhicule et son propriétaire pouvait continuer à rouler. Là, le titulaire de la carte grise n'est même plus autorisé à circuler sur la voie publique ! Je vous laisse imaginer les conséquences et les coûts pour les concessionnaires, avec des véhicules qui encombrent les ateliers pendant des semaines, des mois, ou qui sont purement et simplement abandonnés par leurs propriétaires pour les moins chers d'entre eux... En outre, la procédure de VE est un véritable "Cheval de Troie" du contrôle technique et elle transforme n'importe quel expert en délateur et en auxiliaire de police ! Pour moi, la procédure VE a été voulue par et pour les experts automobiles et le deux-roues n'a rien à y faire !
Pour la FFMC, qui s'apprête elle aussi à demander le retrait des deux-roues du champ d'application de cette procédure, le projet de décret s'apparente à "une forme de contrôle technique déguisé".
"C'est une vraie usine à gaz qui prévoit l'auto saisine des forces de l'ordre à tout moment, ce qui signifie que tu peux te retrouver avec ta moto en procédure de "Véhicule endommagé" pour un embout de guidon ou un levier d'embrayage cassé !", confirme Eric Thiollier, le délégué général de l'association interrogé par Moto-Net.Com. A suivre... Restez connectés !
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