Voilà deux jours que je suis à Manaus, la métropole de la jungle, au coeur de la forêt amazonienne. Au 19ème siècle, cette ville n’était qu’un petit village qui s’est ensuite développé grâce à l’industrie du caoutchouc avec l’essor de l’automobile.
Voilà deux jours que je suis à Manaus, la métropole de la jungle, au coeur de la forêt amazonienne. Au 19ème siècle, cette ville n’était qu’un petit village qui s’est ensuite développé grâce à l’industrie du caoutchouc avec l’essor de l’automobile.
Aujourd’hui Manaus est surtout une zone franche, mais on y trouve encore des vestiges de cette période faste. Comme le fameux théâtre Amazonas, construit avec des briques apportées d’Europe, du verre français et du marbre italien qui ont traversé l’Atlantique puis remonté l’Amazone au 19ème siècle, sur les bateaux de l’époque. De la pure folie !
Mais il est temps de reprendre la route pour Porto Velho, la route BR319 plus exactement. C’est l’unique lien terrestre entre Manaus et le reste du Brésil, mais elle est pourtant dans un sal état. D’ailleurs il n'y a pas de bus entre Porto Velho et Manaus, seulement le bateau...
Une sacrée galère !
Je ne le sais pas encore, mais je m’embarque dans une sacrée galère ! Jusqu’à Careiro, tout va bien : je prends une barge pour traverser le Rio Negro et je me retrouve sur une bonne route qui me mène à Careiro (environ 150 km) où je fais étape dans une station-service.
Le lendemain je fais le plein : 30 litres d’essence qui m'assurent une autonomie d'environ 600 km. J’ai à peu près 550 km à parcourir avant de rejoindre Humaita, mais apparemment on peut trouver de l’essence dans 450 km.
Dès cette première journée, l’asphalte disparaît rapidement pour laisser place à une succession de bourbiers géants... Je passe le premier, le deuxième... et au troisième je couche la moto ! C’est la galère : je cuis sous mon équipement, je pousse et tire la moto comme je peux pour la faire avancer, mais c’est vraiment dur. En 2 heures j’ai dû parcourir 15 km...
Puis, en voulant éviter une ornière trop profonde, je m’embourbe : la moto est scotchée, ventousée, tout ce que vous voulez... mais elle ne bouge pas ! Là, j’abandonne... Il est 13h, j’ai fait 80 km dont 50 d’asphalte... Ma vitesse n’est que de 10 km/h et il me reste 480 km à parcourir ! Heureusement, 10 minutes plus tard, un pick up arrive ! Le conducteur, amusé, comprend que j’ai besoin d’aide. Il fait marche arrière, son frère sort une sangle et attache la moto au 4x4. En deux temps trois mouvements, je suis libéré !
Le reste du parcours est moins boueux mais tout aussi difficile, car la pluie a rendu la route très glissante. Sans compter les nombreuses déviations pour éviter les ponts en bois effondrés, pleines d’ornières profondes.
Jaguars et boas
Vers 16h, je m’arrête discuter avec un gars assis sur un pont. J’en profite pour lui demander à combien de kilomètres se trouve le village le plus proche, car j’ai déjà parcouru 150 km et je suis mort. J’en profite pour sortir mon portefeuille et regarder combien il me reste : que dalle ! Quel boulet ! Je suis au milieu de la forêt, à cours de liquidité, et il me reste au moins deux jours de route avant de trouver une banque !
Un peu paniqué, je lui explique mon souci. Il me propose alors de dormir avec ses collègues. Ils bossent pour une compagnie d’électricité qui rénove la ligne et ils sont une quinzaine à dormir un peu plus loin. Je passe donc la soirée avec eux, je suis trop content. Tout le monde est aux petits soins, l’un d'eux connait quelques formules de politesse en français et c’est parti pour des fous rires à n’en plus finir. Franchement une super équipe. Car sur cette route, pas question de camper n’importe où : des jaguars et des boas s'y promènent !
Le lendemain, après quelques kilomètres, j’arrive au fameux village pour prendre une barge et passer la rivière. Le bateau arrive, je monte dessus, et au moment de partir j'explique que je n’ai que 4 reals... C’est ici où tout se joue. Soit il me fait passer pour 4 reals au lieu de 10, soit je suis bon pour aller retirer à un jour de route. Mais ça passe !
De l’autre côté je rencontre deux Brésiliens à moto, Eduardo et José, 38 et 56 ans, qui vont eux aussi à Humaitá. Je leur demande si je peux faire la route avec eux car ça sera plus sympa, plus sûr, et au cas où ils pourront m’avancer un peu, je les rembourserai à Humaitá.
Je me suis aussi rendu compte d’un autre problème : je n’aurai jamais assez d’essence pour aller jusqu’à Humaitá, car la route d’hier a été tellement difficile que ma conso a été bien plus élevée que prévu.
Je me retrouve donc sans argent et pas assez d’essence... Mais quel bol de rencontrer deux types à moto qui vont au même endroit que moi ! Nous voici donc partis tous les trois : eux font très "couleur locale" avec leurs petites 125 et moi plus touriste avec ma grosse moto. De toute façon il pleut tellement qu’on roule à peu près à la même vitesse, souvent les pieds par terre pour récupérer les nombreuses embardées.
Parfois on a du bol, un peu de goudron fait son apparition, mais il n’y a quand même rien de pire qu’une route en ruine pleine d’immenses trous et changeant sans cesse de revêtement... Ce qui est impressionnant c’est à quel point la forêt a repris le dessus et mange littéralement ce qu’il reste de route, au point de ne laisser souvent la place que pour un véhicule. Nous sommes au coeur de la forêt sur une route qui donne l’impression d’avoir survécu à plusieurs fins du monde.
On continue notre chemin entre 15 et 25 km/h, on tombe, on se relève... Tous les 30 km on s'arrête retendre les chaînes des deux petites motos. A 19h, on roule depuis dix heures et on cherche désespérément un campement... Heureusement, des gens sur la route nous disent qu’il un y a un vieux relais de téléphone où on trouvera de la place pour s’abriter.
Au bout d’une heure on trouve le fameux portail... cadenassé. Heureusement, la clôture en barbelés a déjà été coupée pour pouvoir passer. Je sors alors ma pince Leatherman (merci du cadeau François, tu vois je ne l’ai pas emmené pour rien !) et coupe un peu plus pour faire rentrer les motos. Ici, on sera à l’abri des jaguars !
C’est énorme comme ambiance, j’ai l’impression d’être dans le film Jurassik Park, sauf que c’est moi dans l’enclos, avec ces hauts barbelés et ce relais téléphonique dans lequel on ne peut pas rentrer mais qui fait un bruit de tous les diables. Heureusement, on peut s’abriter sous une avancée. On est au sec pour la nuit.
Enfin la dernière journée ! On commence à être vraiment fatigué, mais c’est aussi ça l’aventure, dépasser ses limites. On repart, il pleut des cordes... L’humidité est telle que mon appareil photo est inutilisable pour la journée, l’objectif est plein de buée. De toute manière le décor ne change pas : on traverse la jungle sous une pluie battante.
Chacun roule à son rythme mais je tombe assez souvent et j'enfonce finalement mes deux valises, support cassé... Bref, je perds du temps et mes compagnons de route. Il est 13h mais je ne m’arrête pas pour manger, je dois absolument les rattraper car je n’ai plus d’argent et pas assez d’essence pour aller jusqu’à Humaita...
Heureusement ce matin, José m’a donné 2 litres d’essence afin d’arriver sans souci jusqu’au village qui se trouve 120 km avant Humaitá. On devrait donc se retrouver là-bas pour ravitailler. Mais cette route redevient un bourbier interminable et je galère avec ma grosse moto. J’ai voulu faire cette route alors je tiendrai jusqu’au bout, même si les conditions sont exécrables.
Plus que 15 km avant le village mais... c’est la panne sèche ! La situation empire : sans argent, sans essence, et sans mes collègues que je n’ai plus vus depuis près de trois heures. J’ai à boire et à manger, je ne suis pas loin du prochain village, alors je ne panique pas et j’attends... 10, 15, 25, 40 minutes. Un vieux en vélo s’arrête, je lui explique mon problème, mais il doit livrer son grain alors il repart. 5 minutes après passe un mec à moto. Je lui explique mon problème, il revient 10 minutes après avec une bouteille de Coca d'un litre remplie d’essence !
Je suis sauvé, juste assez pour me rendre au village ! Je ne sais pas comment le remercier... Quel bol, les gens sont trop cools dans ces régions reculées. Je fais 1 km, je retrouve mon vieux à vélo qui m’arrête et me tend une bouteille de Coca avec... 2 litres d’essence. Je n’ai pas de mot pour exprimer ce que je ressens à ce moment-là, ces gens sont juste venus m’aider avec le sourire sans rien attendre en retour.
Au début je n’osais pas accepter son essence, mais lui n’a qu’un vélo et m’a fait comprendre qu’il n’en avait pas besoin. Je fais encore 5 km et Eduardo, l’un des motards avec qui je roulais jusqu’à présent, arrive avec 4 litres d’essence ! On arrive donc au village ensemble.
A 18h la pluie se calme : on repart dans les ornières de boue. Plus que 120 km, c’est dur, mais on a tous le sourire. A environ 60 km, l’asphalte refait son apparition. On s’arrête, Eduardo retire un maillon de la chaîne de José qui s’est pas mal allongée dans la boue. José repart le premier, puis Eduardo et moi. Il fait nuit noire, José est déjà loin, Eduardo et moi sommes partis après.
Perte de connaissance...
Eduardo pile devant un énorme trou au beau milieu de la route, je l’évite moi aussi de justesse, mais 20 mètres après on retrouve José étalé, inerte, à côté de la moto... Il a de nombreuses plaies, son casque mal ou pas attaché a volé et une partie du sang provient de son crâne...
Au bout de quelques minutes, il se relève. Je ne comprends pas le portugais, mais je me rends compte qu’il a perdu la mémoire : il ne sait pas d’où on vient ni où on va et ne se souvient pas de l’accident... On est sous le choc. On lui demande comment il s’appelle : José ! C’est bon, il a fait l’impasse sur l’accident mais il se souvient du reste !
Au bout d’une heure on reprend la route. Je lui ai proposé de le prendre en passager, mais il ne veut pas laisser sa moto là. Il nous reste quelques dizaines de kilomètres, la route disparaît de nouveau pour laisser place à de grosses ornières.
Je ne sais pas comment il tient... On mettra deux heures de plus pour rejoindre Humaità, où l'on arrive à minuit. Là, nous partagerons un hôtel avant de se séparer le lendemain. Eux prennent la Transamazonienne sur 300 km avant d’arriver chez eux, moi je vais à Porto Velho puis en Bolivie. En tous cas, cette étape du voyage restera gravée dans ma mémoire... Mes chances d’arriver étaient minces, mais le voyage réserve souvent bien des surprises...
A suivre la semaine prochaine sur Moto-Net.Com : restez connectés !
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